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c’est tout simplement l’acte de conscience et d’honneur d’un évêque qui a cru une élection compromettante, qui a essayé de la combattre dans le secret des délibérations académiques, et qui, n’ayant point réussi, dégage sa responsabilité en se retirant de la compagnie qu’il n’a pu convaincre. Que l’Académie, qui se trouve pour la première fois engagée dans une telle aventure, accepte ou n’accepte point maintenant cette démission, la rupture déclarée par M. l’évêque d’Orléans n’a pas moins toute sa signification et sa portée morale. C’est le désaveu d’un choix auquel les circonstances peuvent donner un caractère équivoque.

Il ne s’agit point ici évidemment de la personne de M. Littré ni même de son mérite comme savant. M. Dupanloup lui-même n’a parlé du nouvel académicien que pour rappeler d’anciennes relations qui lui avaient laissé une profonde estime pour l’homme et ce qu’il appelle dans son langage épiscopal « une affection triste. » M. Littré est assurément très respecté dans sa vie austère et modeste, c’est un savant honoré pour ses travaux, un ingénieux et infatigable érudit, et c’est parce qu’il est tout cela qu’il a été appelé, il y a bien des années déjà, dans une autre section de l’Institut ; mais enfin M. Littré n’est pas seulement un savant et un érudit : c’est de plus un théoricien, un penseur dont les doctrines font quelque bruit dans le monde, et il reste toujours à se demander si l’Académie a été heureusement inspirée en choisissant les circonstances actuelles pour donner un nouveau titre, pour décerner, selon l’expression de M. l’évêque d’Orléans, « les premiers honneurs de l’esprit français » à un homme qui, avec toutes ses qualités, a le malheur d’être un des porte-drapeau de la philosophie matérialiste, du socialisme athée. Voilà justement la question. Qu’on n’invoque point surtout, à propos d’une élection académique, ces grands mots de liberté et de tolérance, qui ne sont souvent que le commode passeport de toutes les transactions. M. Littré était, ce nous semble, parfaitement libre dans l’expression de ses opinions philosophiques, personne n’a proposé de le persécuter ; on n’avait pas à défendre en lui l’indépendance de l’esprit et de la conscience. Est-ce que l’Académie croyait manquer au libéralisme et à la tolérance lorsqu’il y a quelques années elle refusait un prix, un simple prix, à un écrivain d’une sérieuse valeur littéraire, mais qui, lui aussi, professait un certain matérialisme ? De deux choses l’une : ou l’Académie se montrait absolument intolérante lorsqu’elle prétendait, par l’organe de M. Villemain, que « toute opinion n’a pas droit de se faire accepter indifféremment pour un honneur public, » lorsqu’elle voyait « dans la négation des vérités nécessaires » une raison de ne point couronner « le talent qui les méconnaît, » — ou elle est prise aujourd’hui d’étranges fantaisies de libéralisme en admettant dans son sein celui qui pousse infiniment plus loin cette « négation des vérités nécessaires. »

Ah ! il ne faut pas y regarder de si près, dira-t-on : il y a toujours eu à