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conducteur connu pour les routes de montagnes. Dix-huit milles nous séparaient encore des sommets où jaillissent les geysers, mais dans des conditions de route tellement insolite que la pensée même de la faire autrement qu’avec le bâton du montagnard ne me serait pas venue : aux yeux même des plus vaillans, c’est une entreprise à laquelle on songe d’avance. Le capitaine Foss est le seul qui ait osé franchir en voiture chargée la distance qui nous séparait du but. On affirme (mais les annales du pays ne sont pas toujours d’une rigoureuse authenticité) que depuis sept ans ce hardi pionnier des voies non frayées accomplit chaque fois sans le moindre accident sa tâche de géant. Il connaît d’autant mieux sa route que c’est lui qui l’a tracée ; elle est l’œuvre de ses mains, il en fait sa gloire. Sans prétendre conquérir par la une réputation d’ingénieur, il s’est du moins assuré celle d’un guide prudent autant qu’intrépide, allant droit au but, escaladant à pic les hauteurs les plus ardues, les descendant de même, ne reculant devant aucun obstacle et n’en reconnaissant même pas. Nous pouvions donc bien nous remettre entre les mains d’un tel homme ; d’ailleurs il n’était plus temps de reculer.

Voiture, chevaux, tout est à lui. Rien qu’à le voir inspecter d’un rapide coup d’œil les moindres détails de son attelage, on sent qu’il est là dans son domaine, qu’il en est bien le maître. Son regard calme, mais vigilant, annonce que tout va bien : all right ! La voiture est un solide char-à-bancs dont les agens de suspension ont été combinés avec des précautions infinies. C’est en effet dans son genre une œuvre d’art d’une espèce nouvelle, dans laquelle tous les mouvemens possibles de la caisse, si désordonnés et violens soient-ils, ont été prévus, calculés au point de vue de la résistance à fournir et de l’aplomb à conserver dans les courbes les plus brusques et les pentes les plus escarpées. L’attelage se compose de six chevaux vigoureux par deux de front. Chacun d’eux a son nom et obéit à la parole ; il le faut bien, car chacun a sa fonction propre et doit savoir distinguer le commandement qui lui est adressé de celui qui s’adresse à tout l’attelage. Cette docilité, cette précision de mouvemens, furent mes premiers sujets d’étonnement ; je n’étais encore qu’au début.

Quand le capitaine Foss vint avec son char-à-bancs nous prendre à l’hôtel, il y avait déjà fait monter trois dames voyageuses ; . Nous y fûmes bientôt sept, y compris le conducteur. Ces trois dames étaient de jeunes femmes de dix-huit à vingt-six ans, l’une d’elles fort jolie, délicate, costume de voyage simple et élégant, la physionomie et le regard sympathiques. Ces jeunes touristes, véritables Américaines, habituées d’enfance à prendre soin d’elles-mêmes,