Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 97.djvu/453

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

enfouis, aussi frais que des animaux morts récemment. Tandis que la chaleur détruit les tissus, le froid les conserve.

Par quel mécanisme le froid devient-il mortel ? Le froid paraît agir sur le système nerveux. Les voyageurs racontent que, dans les contrées polaires, une insurmontable tendance au sommeil accable les hommes saisis par les températures très basses. Sur les rivages glacés de la Terre-de-Feu, Solander disait à ses compagnons : « Quiconque s’assied s’endort, et quiconque s’endort ne se réveille plus. » Cette tendance est si impérieuse que plusieurs de ses serviteurs y succombèrent, et que lui-même s’affaissa un moment sur la neige. On dit que, pendant l’hiver de 1709, 2,000 soldats de Charles XII périrent dans le sommeil auquel ils s’étaient abandonnés sous l’influence du froid. L’action sur les centres nerveux n’est toutefois que secondaire et consécutive à un autre phénomène étudié par M. Pouchet, et qui fournit ici le secret de la mort. Lorsque la température de l’intérieur du corps s’abaisse à 10 ou 12 degrés au-dessous de zéro, le froid congèle plus ou moins le sang, en désorganise profondément les globules, et c’est cette altération qui, soit directement, soit lorsque le sang est redevenu fluide, anéantit toutes les fonctions vitales. Larrey rapporte le cas de Sureau, pharmacien en chef de l’armée de Russie qui, profondément refroidi par une marche pénible dans la neige, ne mourut qu’au moment où on commençait à le réchauffer. Les expériences sur les animaux font voir que ceux-ci se conservent vivans tant qu’on les entretient dans un état de demi-congélation, et qu’ils meurent quand on rétablit chez eux la température et la circulation de façon à permettre aux globules, désorganisés par le froid, de se répandre dans tous les vaisseaux. La mort arrive ainsi chaque fois que la quantité de ces globules est en nombre suffisant pour provoquer une perturbation considérable dans l’économie, c’est-à-dire chaque fois que la partie gelée présente une certaine étendue. Tout animal entièrement congelé et dont par conséquent le sang figé ne renferme plus que des globules impropres à la vie est mort sans résurrection possible. En le dégelant, on n’obtient qu’un cadavre mou, flasque, décoloré, dont les yeux sont opaques. Si la congélation n’a frappé qu’un membre, celui-ci tombe en gangrène et se détruit. M. Pouchet a tiré de ces études une judicieuse conclusion pratique. S’il est vrai que, dans les cas de congélation partielle, ce sont les globules désorganisés qui, en rentrant dans la circulation et en viciant le fluide sanguin, tuent l’individu, il est clair que, plus l’invasion de ces globules sera brusque, plus la mort surviendra rapidement. Il s’ensuit qu’en s’opposant à cette invasion par des ligatures ou un dégel d’une lenteur extrême, on parviendrait à empêcher l’empoisonnement total. Les globules malades qui, en pénétrant en masse dans