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reproduit aussi menaçant pour la liberté de l’Europe ? C’est la question de l’avenir.

Pour le danger, il est marqué. Chacun des anciens états allemands qui ont dirigé l’empire par l’intelligence ou l’autorité lui apporta un lot particulier d’avantages et de mérites. La Saxe ancienne a construit les villes et rétabli l’empire de Charlemagne ; les Francs orientaux ont donné l’impulsion aux arts, au commerce, et transporté sur le Rhin l’activité du moyen âge allemand ; la Souabe a développé l’imagination poétique, l’héroïsme chevaleresque, les facultés brillantes de l’esprit national ; la Saxe moderne lui a donné Schiller, Goethe, Wieland, Herder ; l’Autriche lui a communiqué l’éclat, la grandeur, la fortune de sa grande race, qui avait hérité de la race légendaire de Bamberg. Le Brandebourg lui apporte les inclinations rapaces et usurières des burgraves de Nuremberg, la politique cauteleuse du grand-électeur, le bâton brutal de Frédéric Ier, l’épée rayonnante de Frédéric II, le régime perpétuel de la caserne. Un système politique est pour les peuples ce qu’une méthode d’éducation est pour l’enfant. Le système de gouvernement du Brandebourg prévaut aujourd’hui en Allemagne ; il est intronisé par le nouvel empire. Les résultats vont correspondre à la cause : un immense empire organisé comme un camp, la régularité de l’exercice, l’âpreté du commandement, la discipline et ses violences. L’ancienne Allemagne n’avait point de capitale. La nationalité était partout éparse, au grand avantage de l’esprit et de la liberté. Gœttingue et Weimar ont été des capitales de l’intelligence, bien plus que Vienne et Berlin. Ce régime provincial est fini. L’empire allemand a désormais une capitale, et c’est Berlin, au tréfonds de tourbe noire, aux souvenirs de la tactique prussienne pour tout passé, avec un peuple issu de toutes races, mené naguère au fouet, et le monument de Frédéric II comme signe de sa moralité politique. Le vieux empire allemand eut à lutter contre l’intolérance catholique de deux empereurs de la maison d’Autriche ; le nouvel empire devra s’accommoder de l’intolérance piétiste de la maison de Zollern. Tous ceux qui connaissent Berlin ont pu lire au fronton de l’église catholique que la construction en est due à la clémence du souverain. Le junckerthum affecte la politesse, mais le fond n’a rien perdu de son ancien caractère. Nous l’avons vu mettre des gants pour présenter une dépêche à l’officier parlementaire, et appliquer les brodequins au paysan pour obtenir son pain jusqu’au dernier morceau. Que Dieu garde la civilisation européenne !


CH. GIRAUD, de l’Institut.