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lui, l’annexion de la Lorraine et de l’Alsace serait aussi impolitique qu’injuste. Voilà ce qui se disait publiquement alors en Allemagne dans des assemblées politiques dont le patriotisme n’était pas suspect, mais dont les opinions n’étaient déjà plus sous l’influence des entraînemens prussiens du mois de juillet 1870. Les mêmes sentimens oseraient-ils se produire encore à présent ? On assure que non.

L’impatience des unitaires s’est du reste imprudemment manifestée, au sujet de la proposition faite au Reichstag de la loi d’unification civile de l’Allemagne. Elle a été repoussée par le conseil fédéral malgré l’insistance de la Prusse. Ce rejet a été dû à la coalition énergique des mandataires de la Bavière, du Wurtemberg, de la Saxe et de quelques autres petits états. L’entreprise était prématurée ; toutefois il est évident que la Prusse y reviendra. De ce point à une grande centralisation administrative et judiciaire, il n’y a qu’un pas. Déjà les états n’ont pu se défendre de voter par anticipation le budget de la guerre pour trois ans. C’est la dictature organisée et régularisée ; elle obtiendra bien d’autres privilèges. Remarquons en passant la profonde différence de notre unité territoriale française avec l’unité germanique. L’unité territoriale a été chez nous une œuvre nationale, fondée sur les indications de la nature et les témoignages de l’histoire. L’unité n’a pas été en France une œuvre dynastique, quoique les princes aient été l’instrument de sa formation. En Allemagne, l’unité n’est point, quoi qu’on dise, une œuvre nationale ; elle est dynastique, poursuivie dans l’intérêt du prince dont les peuples ne sont que l’instrument. L’unité allemande n’est que prussienne : la Bavière, la Saxe, le Wurtemberg, la Franconie, sont-ils sincères partisans de l’unité ? l’étaient-ils en 1865-1866, lorsque leur territoire était saccagé ou menacé par les Prussiens ? Avec un autre Richelieu, la liberté germanique eût été défendue par la France comme elle fut jadis défendue en 1635 contre Ferdinand II. On connaît du reste la frivolité des motifs qu’ont donnés la Prusse et son parti pour se justifier de n’avoir pas fait appel au suffrage universel afin de constater les sympathies des populations[1]. Pour ne pas s’arrêter à la juste mesure, le germanisme, auquel l’Europe et la France en particulier étaient fort sympathiques, court le danger d’échouer même dans son œuvre intérieure de réforme et de constitution nationale. L’ancien teutonisme a été successivement repoussé jusque dans le foyer d’où il s’était répandu comme un torrent en Europe. Les nationalités modernes sont nées de ses ruines. Sera-t-il une seconde fois refoulé, s’il se

  1. Voyez Hillebrand, la Prusse contemporaine et ses institutions, p. 83 et 84.