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commerçans ou mixtes. L’un est toujours prêt à l’agression, l’autre n’est pas toujours prêt à la défense. L’Europe regrettera un jour son inaction de 1870. Elle s’est méfiée de nous peut-être, ne devait-elle pas aussi se méfier de la Prusse ? Contre qui se tournera l’ambition du nouvel empire d’Allemagne aujourd’hui que la France est abattue ? Nul ne le sait : l’Europe est à sa merci. Qui lutterait contre l’empereur allemand zollérien ? Personne. Or qui peut tout osera tout, c’est l’invariable loi du monde moral ; l’Europe doit donc s’attendre à tout de la part d’un pouvoir qui n’a ni limites, ni règle fixe, ni garanties. La prudence personnelle d’un souverain peut éviter des écueils ; mais qu’il advienne un nouveau Charles-Quint, et l’Europe est en feu pour tout un siècle. La conception d’un équilibre est contemporaine de la renaissance de l’esprit humain ; elle dut son origine au bon sens public, dès que l’Europe en ressentit l’influence dans ses affaires d’état. L’Angleterre ne s’était jamais mêlée des affaires d’Italie pendant le moyen âge. Elle comprit sous Charles VIII que l’établissement des Français à Naples leur donnerait une prépondérance fâcheuse à ses intérêts[1]. La raison naturelle avait fait admettre l’équilibre parmi les raisons d’état reçues chez les princes italiens de cette époque[2].

L’Italie la première pourra souffrir du rétablissement du saint-empire. Pense-t-elle que l’Allemagne a oublié la domination qu’ont exercée au-delà des monts les anciennes dynasties impériales ? L’époque des, Otton, des Franconiens et des empereurs souabes est l’époque épique des imaginations allemandes. De combien d’affronts l’Allemagne y pourrait poursuivre la réparation ! Le cycle des irruptions germaniques étant rouvert, le soleil d’Italie sera toujours le premier vers lequel se tournera le Germain de tous les temps. La maison de Savoie, pour prix de son alliance, rentrerait en possession du vicariat d’Italie qu’elle a exercé pendant plusieurs siècles, et reprendrait son rang dans les diètes germaniques. Des fiefs d’empire existaient encore à la fin du dernier siècle sur le territoire de divers états italiens, et la Lombardie déploie encore sa plaine historique de Roncaglia ; Monza conserve la couronne de fer, et çà et là vivent de nombreuses familles du plus beau sang germanique. L’Allemagne a des revendications à y produire.

Sur un autre point limitrophe de ses frontières, du côté de la Suisse, quelle sera l’attitude du nouvel empire ? La Suisse allemande a fait partie intégrante de l’empire pendant neuf ou dix siècles. Même après qu’elle eut secoué de fait le joug de la maison d’Autriche, au XIVe siècle, elle est restée de droit unie au corps germanique, et

  1. Voyez Comynes, édition de la Société d’histoire de France, liv. VII et VIII.
  2. Voyez Comynes, ibid., Guichardin et Bembo.