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vie des peuples : il a beau s’appeler César et Auguste, il y a dans la race germanique un instinct de diversité, d’individualité, qui est plus fort que les souvenirs de la grandeur impériale. Les Germains ne supporteraient pas le joug de la savante administration qui épuisa les Gaules et l’Espagne. Dès lors le rôle de l’empereur change par la force des choses : il ne saurait commander en maître à des peuples qui ont conservé leur liberté ; il ne saurait imposer un régime uniforme à des populations essentiellement individuelles. — Quelle est donc la mission de l’empereur ? Il est l’expression de l’unité qui existe au sein de la diversité. Les peuples, quoique séparés par les montagnes et les fleuves, les lois et les gouvernemens, forment néanmoins un tout ; ils ont un chef : l’empereur est le lien qui les unit. Son pouvoir est un pouvoir modérateur ; il est chargé de maintenir la paix et l’harmonie entre tous les chrétiens. Il y a dans le christianisme le germe d’un nouvel ordre social. La guerre, la division hostile était la loi du monde ancien ; la fraternité chrétienne repousse la guerre comme un crime, elle demande que la division fasse place à l’amour, la haine à l’harmonie. Le saint-empire est la première manifestation de la solidarité des nations[1]. » Mettant de côté le sentiment de tristesse amère qu’on éprouve en lisant ces lignes, si l’on se souvient en même temps et du refus de la paix après Sedan, et de la psychologie de la guerre et du droit de la force, et de cette dépêche que nous avons tous lue : « le bombardement de Paris commence par un splendide soleil d’hiver, » on se demande ce que doit penser l’auteur de la signification actuelle du titre conféré par l’Allemagne au roi zollérien, dont M. de Raumer est un sujet très dévoué et très justement honoré. Il y a dans la définition ancienne de l’historien des Hohenstaufen tout à la fois de la rêverie et de la réalité. Oui, la dignité impériale était, selon les traditions du moyen âge, la préfecture de la république chrétienne ; ce sont les expressions d’Æneas Sylvius lui-même. C’est dans cette intention que la charge en fut conférée à Charlemagne, et c’est dans ce sentiment qu’il la reçut ; c’est l’idée que Dante en a transmise ; c’est le témoignage de tous les chroniqueurs[2]. L’empereur est spécialement en outre le grand juge de paix de la race teutonique[3]. Ainsi Rodolphe de Habsbourg, le type du genre, parcourait annuellement l’Allemagne pour rétablir partout le bon ordre, la police, l’observation de la justice. Le pape était bien caput mundi ; mais l’empereur le suivait de très près, et sa puissance était souvent adéquate, quand il s’agissait de la police et de la paix publique.

  1. Raumer, Gesch. der Hohenstaufen, t. V, p. 81.
  2. Reipublicœ christianœ prœest, Guy d’Arnpeck, dans D. Pez, p. 1224, D.
  3. Alberti Argent, Chron., p. 108-9, dans Böhmer.