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pouvait peut-être nous dégager ; la fatale destinée a tout perdu. Le point noir est devenu tempête, pilote et navire ont été emportés, et, poursuivant leur inflexible ambition, les Zollern, contenus par l’Europe à Vienne en 1815, n’ont plus trouvé de contradicteur à Versailles le 18 janvier 1871 ; ils ont consommé leur œuvre par le rétablissement de l’empire d’Allemagne. On sait avec quelle persévérante habileté M. de Talleyrand avait combattu à Vienne les désirs d’agrandissement de la Prusse en Allemagne. Quoique vaincue sur les champs de bataille, la France avait alors trouvé dans le droit défendu par l’esprit l’autorité suffisante pour résister à l’enivrement de la force. M. de Talleyrand avait conquis des alliés à sa cause dans la diplomatie anglaise et russe, et réussi à imposer la modération à la Prusse, prête un certain jour à se retirer du congrès. En 1870, l’Angleterre et la Russie sont restées impassibles, muettes, indifférentes. L’Europe recueillera un jour les fruits amers de cette politique d’abstention ; mais l’événement n’en est pas moins accompli. Tâchons d’apprécier, les conséquences d’un acte qui nous rejette dans un avenir inconnu.

L’Allemagne la première poursuit une chimère et des plus périlleuses. Chaque peuple a eu la sienne ; celle de l’Allemagne est aujourd’hui manifeste. La race germanique en effet, malgré ses penchans hiérarchiques et les liens qui unissent ses familles diverses, est douée au plus haut degré de l’esprit d’individualité. L’un n’exclut pas l’autre. Ce qui signalait L’Allemand parmi tous les peuples, c’était son goût de liberté individuelle. On lui a même fait l’honneur d’avoir introduit le respect de cette liberté dans la civilisation moderne, et l’Allemagne ne méconnaît point ce caractère historique de ses institutions que la diversité de ses origines explique suffisamment. Il n’y avait pas plus d’unité dans la Germanie indépendante et barbare qu’il n’y en avait sous le régime du corps germanique en 1648 ou de la confédération en 1815. L’Allemagne ancienne, comme l’Allemagne moderne, a vécu à l’état de confédération ; nos bacheliers savent cela. Les conceptions de La politique n’avaient ait que sanctionner les indications historiques et naturelles, et c’est en cela que ces conceptions étaient excellentes. Jean de Muller, Herder, Frédéric II lui-même, ont vivement combattu la pensée de la concentration allemande en une seule puissance. L’Allemagne, sous façon de progrès, remonte aujourd’hui le cours du temps, et immole sa liberté native pour se rejeter dans ce romanisme impérial qu’elle a combattu pendant près de mille ans. Quelles sont en effet les bases constitutionnelles du nouvel empire allemand ? Les voici. Au lieu du régime d’élection qui, à la mort de chaque empereur, remettait l’Allemagne, représentée par les princes électeurs,