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très recherché pour la villégiature ; tout prouve pourtant que ces localités subissaient les influences paludéennes du voisinage. Un exemple plus frappant nous est fourni par les Marais-Pontins. Les anciens aussi s’y plaignaient de la fièvre ; mais ils l’avaient domptée par des soins séculaires, appliqués à ce sol aussi riche que dangereux. Que de villes installées sur ce territoire aujourd’hui maudit ! Il y en avait jusqu’à vingt-trois, et des plus prospères. Les Volsques de Suessa, de Longula, de Pometia, de Polusca, de Mugilla, de Nimfa, habitaient même la partie la plus basse. La mort du reste a mis du temps à établir définitivement son domaine aux Marais-Pontins. L’empereur Auguste y avait encore une villa, et bien plus tard Théodoric, après quelques canalisations, put établir à Terracine le siège de son empire.

Ces faits sont de bon augure pour le Latium, bien moins malsain par lui-même. Les difficultés sont sérieuses, mais ce qu’ont obtenu les anciens, pourquoi l’activité moderne ne l’obtiendrait-elle pas à la longue ? Plusieurs papes l’ont noblement essayé. C’est ainsi que Pie VI osa poursuivre la fièvre jusque dans les Marais-Pontins. Que pouvaient devenir ces excellens fonds de terre, même desséchés, entre les mains de trois ou quatre familles princières qui en devaient la rente au saint-siège sans être toujours en état de s’acquitter ? Il y a cinquante ans, les Gaëtani, qui louaient 130,000 hectares de ces marais 25,000 francs pour la pêche, firent opposition au dessèchement. Comment ressusciter un monde abandonné à l’exploitation inqualifiable de tels propriétaires ? Il fallait plus que les entreprises intermittentes d’un gouvernement aussi routinier que bien intentionné, plus que les ressources de la science, plus même que les grands capitaux, jusqu’ici absens ; il faut surtout les intérêts multipliés, divisés entre mille propriétaires, pour rendre à la culture et par suite à la vie ces terrains d’alluvion qui feraient la joie des maraîchers de nos grands centres. Il n’y a que l’intérêt privé, sous l’impulsion des libertés modernes, qui soit capable de surmonter le grand obstacle de la malaria ; il faut l’âpreté du gain, la soif de vivre, pour faire reculer cette forme de la mort.


TH. ROLLER.