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montagnes natales. Il y a moins de peine, y vagabonde mieux, y souffre moins du froid, et, s’il laisse sa famille au pays, il retrouve dans l’agro romano des loisirs et de chaudes solitudes qui conviennent à son humeur indépendante. Cet état de choses est une institution qui se perd dans la nuit des temps. Tous les troupeaux de menu bétail émigrent ainsi ; presque tous les troupeaux de bœufs et de chevaux en font autant.

De la transhumance découle une conséquence économique regrettable, l’impossibilité pour les exploitans de s’approprier la jouissance du sol d’une façon permanente et de l’améliorer. Établis en nomades sur la plus grande partie des terrains vagues, ils ne sauraient avoir la prétention ni même l’idée de les débarrasser des ronces ou des chardons. Tout au plus, quand les herbes adventices sont sèches, se donnent-ils la peine d’en abattre les tiges mortes à coups de longue verge. Qui a la fantaisie de vérifier la prophétie biblique n’a qu’à se rendre dans l’agro romano en saison opportune : la terre n’y produit guère que des chardons. Cette plante y arrive à des proportions qu’on ne saurait craindre ailleurs. La sécheresse, il est vrai, la tue et la livre aux pieds des troupeaux, qui la brisent ; cependant la racine s’en conserve précieusement, et chaque printemps en voit ressortir de terre la tige plus drue et plus hardie. La campagne appartient aux graines volantes, aux légers duvets qui se ressèment d’eux-mêmes. La fougère, certains joncs marécageux, le pissenlit, la ronce, disputent le terrain au chardon, leur maître. Une plante plus gracieuse, mais non moins vivace, absorbe les espaces le plus naturellement fertiles : c’est une sorte d’asphodèle dont la vitalité est désespérante partout où la charrue n’en a pas raison. Ses belles tiges fleuries transforment la campagne, en une neige rosée, tandis que ses bulbes multiples s’assimilent les entrailles du sol. Rien de plus charmant : il y a de quoi égayer même la solitude ; toutefois pas un animal ne peut toucher à cette plante, et l’industrie seule a essayé d’en retirer des produits chimiques. N’est-il pas désolant de voir perdre au cœur même de l’Italie des terrains propres à nourrir de nombreuses populations ?

Qu’on se figure l’espace qu’il faut dans ces conditions d’abandon pour élever les troupeaux sous un ciel si peu favorable aux pâturages ! Si chez nous, en bonne agriculture, on s’efforce de nourrir une tête de gros bétail par hectare, sans préjudice des cultures normales de blé, de colza, de lin ou d’autres produits, ici, où on ne récolte que peu de grains et pas de plantes industrielles, il faut environ 4 hectares pour l’entretien d’un cheval ou d’un bœuf. C’est du moins la notion que nous avons pu recueillir sur les rapports vagues des pâtres et des exploitans, on ne calcule à Rome que par