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dextérité et une hardiesse singulières pour les dompter, vers l’âge de quatre ans, quand le moment est venu de les utiliser. Les cavallari romains méritent certainement une plus notoire réputation ; on acquiert des qualités spéciales dans cette existence primitive. Cela vaut bien une visite aux tenute où l’on dresse des chevaux.

Rien d’intéressant comme de voir les dompteurs, montés sur leurs dociles coursiers, armés d’une longue houlette qui ne serait pas inoffensive dans leurs mains, chasser devant eux le troupeau bondissant, hennissant ; puis tout à coup en détacher l’étalon qu’ils ont choisi de l’œil parmi les autres, le pousser, malgré les bonds qu’il fait pour se dérober, jusque dans un parc réservé dont la barrière se ferme sur lui. Quand l’animal s’est un peu calmé et qu’il commence à se résigner à son emprisonnement, le dompteur descend de cheval, saisit un lacet, le lui lance adroitement au cou. L’autre bout de la longue lanière, préalablement enroulée au tronc d’un arbre fourchu planté au milieu de l’enceinte, va reprendre par la croupe l’animal qui se débat, le retient captif, le paralyse. C’est le moment choisi pour lui passer un licol du bout d’un long fouet. Le voilà retenu d’une manière moins dangereuse ; mais le toucher de la main serait impossible. Comment l’habitue-t-on à se laisser approcher ? Avec le manche du même fouet qu’on lui passe et repasse rudement sur le corps jusqu’à ce qu’il ne frémisse plus au contact, qu’il ne bondisse plus sous cet étrange massage, qu’il n’écume plus de colère ou de peur. Alors seulement on lui lâche un peu la longe ; il galope en tout sens, se cabre, rue, s’arrête, regimbe. Il n’y a qu’une manière de lui apprendre à marcher à galoper au commandement, c’est de le battre à grands coups de fouet, impitoyablement, jusqu’à ce qu’il sente une volonté plus énergique que la sienne. C’en est assez pour un jour. On le relâche, quitte à reprendre ce rude exercice la semaine suivante, avant qu’il ait oublié la leçon. Peu à peu ainsi on l’habitue à se laisser toucher, seller, brider. S’agit-il simplement de panser la blessure d’un poulain sauvage, on emploie de même le lacet, dans le même parc, pour terrasser l’animal.

L’éleveur de bœufs sauvages court presque autant de danger que le cavallaro, et déploie une dextérité souvent surprenante. Sa pauvreté égale son ignorance. C’est bien l’homme amoindri, tel qu’il convient aux aristocraties et aux théocraties de le posséder, apte seulement à quelques grossiers labeurs indispensables au maître, mais nul sur tout le reste. Dans la plaine, dans les marais, nous n’avons pas vu d’autre indigène que celui-là. Lequel de nos obscurs paysans voudrait changer avec lui ? Certes nos ruraux sont loin de jouir du bien-être normal, mais le plus pauvre a son toit, son lit, se nourrit d’une façon régulière sinon substantielle, est