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fermes-modèles ; au bout de dix ans, vos revenus. auront. triplé. — Il vous eût répondu fièrement : — Je suis prince et possède un majorat. — Le fait est que le majorat le possédait.

A cela, nous l’avouons, il y avait des compensations heureuses, non pour lui, mais pour le public. Si les princes avaient pu se défaire de leurs beaux tableaux, c’est à Saint-Pétersbourg ou à Munich qu’il faudrait aller les admirer ; si leurs splendides villas eussent été facilement aliénables, les touristes ne s’y promèneraient pas comme chez eux, à l’ombre d’une hospitalité qui n’a pas d’exemple chez les roturiers parvenus. La terre aurait repris alors ses droits, et les possesseurs d’un dixième ou d’un vingtième de royaume ne seraient pas de petits rentiers, obligés de baisser pavillon devant les valets de la finance européenne. La terre eût repris ses droits, c’est-à-dire qu’elle fût revenue à qui peut la faire valoir. C’est ce qui ne manquera pas d’arriver sous la législation italienne. Le désert reculera devant le capital envahisseur ; la vie reparaîtra avec la libre richesse là où la misère somptueuse a perpétué la mort.

Qu’en Angleterre, où la grande propriété n’exclut ni la richesse mobilière, ni l’esprit d’entreprise, ni l’instinct du progrès, il soit possible de féconder de grands domaines, on se l’explique aisément. Transformez le prince romain en lord anglais, on espérerait peut-être ; mais on ne peut rien attendre de qui s’est laissé étioler soi-même. Quelqu’un a dit : « Tant vaut l’homme, tant vaut la terre. » Au reste, les capitaux mêmes du lord anglais perdent une partie de leurs avantages quand il s’agit de propriétés en Irlande, car en Irlande il n’habite pas, donc il améliore peu. Le prince romain habite la capitale, par courts intervalles sa villa, jamais ses terres. Absent et besoigneux, il en tire au plus vite ce qu’il peut, sans jamais rien leur donner.

Ce que les princes romains ne voulaient, ne savaient ni ne pouvaient faire, les moines, les prêtres, les religieux de tous ordres, étaient encore moins propres à l’entreprendre. Le froc est brouillé avec le travail matériel : ce n’est point là d’ailleurs ce qu’on en attend. Créer des assolemens, composer des engrais, utiliser le semoir suisse, telle n’est pas l’affaire des prêtres. Ce n’est pas qu’ils ne soient intelligens et parfois instruits, mais la terre et ses biens ne semblent guère devoir entrer dans leurs attributions. Il est étrange que malgré cette incapacité naturelle ils n’aient rien si à cœur que de s’approprier le sol et de devenir possesseurs de biens-fonds. Dans le patrimoine de Saint-Pierre, il fallait donc s’attendre à trouver la mainmorte ecclésiastique. Si tout le pays n’était pas déclaré bien de l’église, il faut voir là une simple condescendance pour les anciens possesseurs, considérés du reste comme vassaux du saint-siège, et surtout pour ces princes romains, issus la plupart de familles