Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 97.djvu/300

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

contraire ce fruit, bon en lui-même, aurait été, suivant lui, vicié et mutilé par de faux médecins et de coupables charlatans, en d’autres termes par de mauvais gouvernemens. Il proteste, comme Tocqueville et tous les écrivains de l’école libérale, contre les tendances autoritaires et centralisatrices de notre société ; mais au lieu de rapporter ces tendances, comme on le fait d’ordinaire, à la révolution elle-même, il affirme que c’est contre cela même qu’elle a été faite. C’est l’ancien régime qui seul est coupable, et, si nous sommes encore sous le règne d’un despotisme administratif, fiscal, universitaire, clérical, militaire, en un mot « du mandarinisme, » c’est que l’édifice détruit par la révolution a été en grande partie reconstruit par l’empire et par tous les gouvernemens ultérieurs, le parti républicain lui-même n’ayant pas été moins empressé que les autres à utiliser cette grande machine à son profit.

Ces vues mériteraient d’être démontrées historiquement et appuyées sur des preuves plus nombreuses et plus précises ; c’est ce que ne fait pas l’auteur, son but étant plutôt de proposer un plan de reconstruction politique que de nous donner une explication historique ou philosophique de la révolution. De sérieuses objections peuvent lui être adressées ; sans doute c’est très faussement que l’on a quelquefois fait valoir en faveur du césarisme une prétendue indifférence de la révolution pour la liberté, et que l’on a systématiquement réduit le but de 89 à l’égalité des conditions sous un gouvernement fort. L’auteur a raison de protester en faveur des principes de la révolution contre ceux qui veulent les accaparer au profit d’une dictature quelconque ; mais est-il bien vrai que la révolution elle-même soit aussi innocente qu’il le dit des excès autoritaires qu’il reproche à la société ? Que la dictature de 93 s’explique plus ou moins par les nécessités de la guerre, toujours est-il que dès ses premiers pas la révolution s’est trouvée engagée dans les voies de la tyrannie. Cette dictature n’était pas seulement militaire, elle était encore politique et même sacerdotale, puisqu’elle allait jusqu’à imposer de force la vertu. On ne saurait donc disculper la révolution d’avoir frayé les voies au pouvoir militaire et de lui avoir préparé les moyens de la paralyser et de l’asservir.

On peut se demander également si le libéralisme radical de l’auteur n’est pas lui-même empreint de cet esprit de spéculation a priori qui est l’excès de l’esprit français. On ne saurait trop réagir contre l’esprit de routine, de bureaucratie et de mandarinisme ; nous lui accorderons sur ce point la vérité de ces critiques, quoiqu’elles fussent peut-être plus efficaces si elles étaient exprimées avec plus de modération. Donnez la plus grande extension possible au principe de l’initiative individuelle, rien de mieux ; il restera