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tous les temps, » il ne serait peut-être pas aussi prompt qu’autrefois à sacrifier « l’élément gaulois à l’élément germanique. » Avec la sagacité si rare qui le caractérise, il comprend aussi que ce n’est pas le moment d’affaiblir aucune des forces vives du pays, et l’une de ces forces est la croyance en la vérité de la révolution, croyance qui n’implique nullement l’aveuglement sur ses erreurs. Tel nous paraît être l’esprit des dernières pages écrites par M. Renan, et qui sont au nombre des plus nobles[1]et des plus belles qu’il ait écrites. Il y revendique contre l’Allemagne l’originalité du génie français : « L’Allemagne, dit-il, ne fait pas de choses désintéressées pour le reste du monde. Très noble sans doute est le libéralisme allemand se proposant pour objet moins l’égalité des classes que la culture et l’élévation de la nature humaine en général ; mais les droits de l’homme sont bien aussi quelque chose. Or c’est notre XVIIIe siècle et notre révolution qui les ont fondés. » On le voit, ici l’éminent critique relève l’idée de la révolution précisément dans ce qu’elle a de plus philosophique, de plus général, de plus humain ; il la relève dans ce que l’école historique a le plus attaqué, les droits de l’homme. Là en effet est la pierre angulaire de la révolution, et c’est sur cette pierre que l’humanité future bâtira son église. Construisons le temple, si nous le pouvons, sans ébranler la pierre.

Un autre critique a été plus loin encore que M. Renan dans ses sévérités contre la révolution. Les brillans travaux de M. Montégut sont trop récens et trop présens encore à l’esprit du lecteur pour qu’il soit nécessaire d’y insister. Il ne se contente pas de proclamer « la banqueroute » de la révolution, mais il la déclare « irrévocable. » Il est peut-être bien dangereux de prononcer de telles paroles. Nous ne savons si la banqueroute de la révolution est irrévocable ; mais ce qui est certainement irrévocable, c’est la révolution elle-même. Hors de là, c’est l’abîme. Il n’y a que trois types de société possibles : la société de l’ancien régime, celle de la révolution, celle du socialisme. La première a péri sans retour ; si la seconde a fait banqueroute, il ne reste que la troisième. C’est ainsi que, pour guérir un mal, on nous y précipite de plus en plus.

Dans un autre ordre d’idées, l’auteur d’un écrit récent sur l’héritage de la révolution[2], M. Courcelle-Seneul, signale à son tour « l’avortement » de la révolution ; mais d’abord il ne croit pas cet avortement irrévocable, et de plus il n’entend pas par là que la révolution aurait été un fruit malsain, mal venu, mal conçu ; au

  1. La Réforme intellectuelle et morale, préface, Paris 1872.
  2. Paris 1872.