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vrai de dire, selon Tocqueville, qu’elle a beaucoup moins innové qu’on ne le croit généralement. Elle a étonné par son explosion subite et extraordinaire ; toutefois cette explosion n’était elle-même que la suite d’un long travail antérieur et d’une œuvre à laquelle avaient coopéré de nombreuses générations. À ce point de vue, Tocqueville n’a pas de peine à démontrer combien sont superficielles les opinions de ceux qui, comme Burke, eussent voulu que la révolution se mît à rassembler les débris du passé et à reconstruire ce qu’il appelle « l’ancienne loi de l’Europe. » C’était justement cette ancienne loi qui tombait en ruines de toutes parts, et que la révolution est venue définitivement abolir ; « c’était de cela même qu’il s’agissait et non d’autre chose. »

Quand la révolution a commencé, on l’a prise d’abord pour un accident, puis quand elle a duré et épouvanté le monde, on l’a prise pour un prodige, pour un monstre, pour un « miracle, » c’est le mot de de Maistre. Tocqueville établit parfaitement qu’elle n’a été ni un accident ni un miracle, qu’elle préexistait déjà tout entière en puissance dans l’ancien régime. Au lieu de la montrer détruisant tout, comme disent ses adversaires, reconstruisant tout, comme disent ses admirateurs, Tocqueville la rattache à l’ancien régime par des liens secrets et profonds. C’est ainsi qu’il prouve par une suite de recherches aussi neuves qu’ingénieuses : — que la centralisation administrative est une institution de l’ancien régime et non une création de la république et de l’empire, comme on le dit ordinairement, — que ce que l’on appelle la tutelle administrative est une institution de l’ancien régime, — que la justice administrative et la garantie des fonctionnaires sont des institutions de l’ancien régime, — que déjà sous l’ancien régime la France était de tous les pays de l’Europe celui où la capitale avait le plus de prépondérance sur les provinces, et absorbait le plus tout l’empire, — que la France était aussi le pays où les hommes étaient devenus le plus semblables entre eux, — que c’est l’ancien régime qui acheva l’éducation révolutionnaire du peuple, — que les réquisitions, la vente obligatoire des denrées, le maximum, sont des mesures qui ont eu des précédens dans l’ancien régime, aussi bien que l’arbitraire des procédés judiciaires. « L’ancien régime a fourni à la révolution plusieurs de ses formes ; celle-ci n’y a joint que l’atrocité de son génie. »

De ces considérations, il semblerait résulter que la révolution n’a rien apporté de nouveau dans le monde, qu’on ne la justifierait d’avoir innové qu’en lui enlevant toute originalité propre. Tocqueville ne va pas jusque-là ; il reconnaît au contraire que c’est une révolution « immense, » et il en signale avec profondeur la grande nouveauté : c’est qu’elle est la première des révolutions politiques