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croyance de la France en elle-même, croyance que tant de grandeur dans le passé et dans un passé si récent paraissait justifier.

De là une direction toute nouvelle donnée aux théories récentes sur la révolution française. On commence à être frappé du peu de respect que la révolution avait eu pour la liberté de l’individu, de son culte pour la force, de son idolâtrie pour la toute-puissance du pouvoir central ; on se demande si, en établissant dans le monde moderne l’égalité des conditions, la révolution, comme autrefois l’empire romain, n’avait pas préparé les voies à une nouvelle forme de despotisme.

Aucun publiciste n’a été plus frappé de cette pensée que le célèbre et pénétrant Alexis de Tocqueville, et il l’avait eue bien avant tout le monde. Le premier, dans son livre si original de la Démocratie en Amérique, il avait, dans des temps pacifiques, modérés, constitutionnels, menacé les peuples modernes « de la tyrannie des césars, » prédiction étrange que nulle circonstance, nul événement, nul symptôme apparent ne paraissait autoriser. Plus tard, justifié en quelque sorte par les événemens, il reprenait cette pensée et la développait avec la plus rare sagacité dans son beau livre sur l’ancien Régime et la révolution.

Il y réfute ceux qui ont cru que la révolution était essentiellement anarchique. C’était, selon lui, prendre l’apparence pour la réalité, la forme pour le fond. Sans doute, la révolution a beaucoup détruit ; comme elle était appelée à mettre fin au régime féodal, elle a dû s’attaquer à la fois à tous les pouvoirs établis, ruiner toutes les influences reconnues, effacer les traditions et « vider en quelque sorte l’esprit humain de toutes les idées sur lesquelles s’étaient fondés jusque-là le respect et l’obéissance. » Ce ne sont là que des débris ; du sein de ces ruines amoncelées s’élève un pouvoir central immense, absorbant et engloutissant dans son unité toutes les parcelles d’autorité et d’influence dispersées auparavant dans les pouvoirs secondaires et éparpillées dans le corps social, — pouvoir auquel on n’avait jamais rien vu de comparable depuis la chute de l’empire romain. Les gouvernemens fondés par la révolution sont fragiles sans doute ; tout fragiles qu’ils sont, cependant ils sont cent fois plus puissans que les gouvernemens antérieurs, « fragiles et puissans par les mêmes causes. » A l’envi de la révolution, les princes nouveaux à leur tour détruisent partout les pouvoirs moyens pour établir leur despotisme ; la révolution, qui avait été « leur fléau, » est devenue « leur institutrice. »

Mais, si la révolution a pu servir d’exemple aux monarques absolus, il faut reconnaître qu’elle-même n’a fait que suivre l’exemple déjà donné antérieurement par la monarchie absolue : aussi est-il