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complaisante, entouré d’une nation muette, combien toutes les horreurs qui l’ont ensanglantée et déshonorée eussent-elles été atténuées et adoucies par la tradition ! C’est la révolution au contraire qui, se faisant son procès à elle-même, a prêté des armes à ses adversaires ! Le procès de Carrier, de Fouquier-Tinville, de Lebon, c’est la révolution se jugeant, se punissant, se livrant à la vindicte de l’avenir. A-t-on jamais vu un tyran faire le procès de l’exécuteur des hautes œuvres qui n’a fait qu’obéir à ses ordres ? « Louis XI a-t-il fait le procès de Tristan l’Hermite ?… Les royalistes se sont bien gardés d’intenter un procès à Charette pour les 250 hommes qu’il fit massacrer sur le préau pendant qu’il entendait la messe. »

Si la révolution n’est pas coupable d’avoir inventé la tyrannie, elle est coupable de s’en être servie, et il faut avouer d’ailleurs que la condensation de tyrannie systématique qui a dominé pendant dix-huit mois sous le nom de terreur est un phénomène effroyable qui confond l’imagination, révolte le cœur, ébranle toutes les cordes de la pitié, et semble au-dessus des lois ordinaires de la politique et de l’histoire. Quelles sont les causes et quels ont été les effets de ce phénomène ? C’est ce que recherche M. Edgar Quinet dans un bien remarquable chapitre de psychologie politique sous ce titre : théorie de la terreur.

La terreur a d’abord été un accident. Robespierre et Saint-Just l’ont changée en système. D’un vertige passager, les terroristes firent l’âme et le tempérament de la révolution. Une autre cause fut le mépris des individus, triste legs des âges. La révolution fut bientôt une sorte d’être abstrait, une idole qui n’a besoin de personne, qui peut sans dommage pour elle-même engloutir les individus les uns après les autres, et grandir de l’anéantissement de tous. « Autant vaudrait dire que les hommes pourraient être anéantis sans dommage pour l’humanité. » Cette théorie étrange conduisait la révolution à faire sans cesse le vide autour d’elle, sans s’apercevoir que c’était elle-même qu’elle détruisait. Une autre cause de la terreur fut, qui le croirait ? la philanthropie. Les révolutionnaires élevés à l’école de Jean-Jacques Rousseau croyaient que l’homme et le peuple sont bons naturellement ; cependant, comme le mal persistait, il fallait qu’il y eût trahison, conspiration. Ils attribuaient à la volonté humaine ce qui était le fait de la nature des choses. « Si vous eussiez pu descendre dans l’âme des terroristes, vous eussiez vu un bien autre spectacle, car non-seulement le passé à demi dompté rugissait autour d’eux, mais ils en portaient une partie en eux-mêmes ; ils étaient complices sans le savoir de la conspiration qu’ils dénonçaient. »

Telles étaient les causes de la terreur ; quelles en étaient les