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que le christianisme, dans son sens primitif, n’a jamais entendu la liberté et l’égalité qu’au point de vue religieux. C’était comme membres du royaume des cieux et non comme habitant cette terre que les hommes devaient être libres et égaux. Le royaume de Jésus-Christ n’étant pas de ce monde, ce n’était pas ici-bas que les petits pouvaient être élevés et les grands abaissés. C’est ainsi que l’esclavage, le servage, le privilège sous toutes ses formes, trouvaient aisément leur justification, et l’on comprend que l’église elle-même, sans renier ses principes, pût prendre sa place dans ce système d’inégalités plus ou moins adouci par la charité chrétienne, mais en même temps maintenu dans ses principes essentiels par cette idée que la croix est la condition naturelle et légitime du chrétien, et qu’elle est nécessaire pour faire éclater la patience de l’un et le dévoûment de l’autre. À ce point de vue austère et mystique, trop facilement conciliable avec tous les abus du despotisme, la révolution opposait celui de la philosophie du XVIIIe siècle, à savoir que les hommes étaient libres et égaux comme hommes, et non pas seulement comme frères en Jésus-Christ, qu’ils devaient pouvoir tous user de leurs facultés librement et au même titre, et cela sur cette terre et non dans la Jérusalem mystique où on les avait toujours ajournés jusque-là. Ce principe était en effet bien différent du principe chrétien, surtout de ce principe formulé et organisé dans la hiérarchie catholique et papale.

Cependant aucun principe de ce bas monde (même parmi ceux qui se donnent comme venant d’en haut) ne se développe dans la pratique avec la rigueur abstraite des théoriciens. Une fois admis dans l’esprit des hommes, les principes y sont tempérés, modifiés, assouplis par le bon sens, par les circonstances, par le cœur humain, par mille causes qui les empêchent de porter toutes leurs conséquences. Que si théoriquement, par un certain côté, le dogme chrétien pouvait favoriser et justifier l’inégalité sociale, par un autre côté il la combattait et l’atténuait continuellement. Que ce fût au nom de la charité ou au nom du droit pur, que ce fût comme frères en Jésus-Christ ou comme frères en humanité, peu importait au bon sens populaire, peu importait aux cœurs généreux qui tiraient de ces principes tout ce qu’ils contenaient au profit des hommes. C’est ainsi que le principe de la fraternité, en même temps que le progrès nécessaire des choses humaines, amenait une égalité pratique de plus en plus grande, et, lorsqu’au XVIIIe siècle les philosophes sont venus professer leurs principes, et la révolution les appliquer, les chrétiens ont pu dire avec une certaine raison que c’étaient leurs propres principes que l’on empruntait. Sans doute la politique catholique a pu accentuer plus tard, comme le faisaient