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craignent même pas de se coaliser avec les radicaux et les chefs de l’Internationale pour renverser les libéraux conservateurs, appelés doctrinaires. A. la campagne, la chose est plus simple, le curé est le grand électeur. Il a toutes les chances de l’emporter sur ses adversaires. Il est animé par la foi, ou obéit ponctuellement à un mot d’ordre ; il agit avec persévérance, toujours dans les mêmes vues, travaillant pendant vingt ans à se rallier une famille, à renverser un ennemi ou à gagner une voix au conseil communal. Les libéraux sont désunis, et leurs efforts ne durent point. Aujourd’hui ils s’occupent de politique avec ardeur, demain ils ne songent plus qu’à leurs affaires particulières. On voit ainsi d’un côté une force parfois violente, mais ordinairement intermittente, lutter contre une force constante et sans cesse active. A la longue, la seconde doit l’emporter sur la première.

Les couvens envahissent les campagnes et les villes. A Anvers, à Bruges, à Namur, à Gand, ils occupent déjà plusieurs quartiers ; mais ce qui garantit mieux encore l’extension de l’influence du clergé dans l’avenir, c’est qu’il se rend maître de presque tout l’enseignement. Les filles du peuple, de la bourgeoisie et de la noblesse sont toutes élevées dans les couvens, et il est à peu près impossible d’établir des institutions rivales, car l’épiscopat les tue en leur jetant l’anathème. Toutes les femmes sont donc formées par le clergé, et mettent leur influence, qui est énorme, au service de l’église. L’école primaire est sous la main du curé, car il la dirige à titre d’autorité. Dans l’enseignement moyen, les collèges des jésuites ont plus d’élèves que les athénées royaux, et l’université de Louvain en a autant que les deux universités de l’état ensemble. Tant que les libéraux étaient au pouvoir, les établissemens de l’état pouvaient à la rigueur faire contre-poids à ceux du clergé ; mais, si les catholiques restent au ministère, ils peupleront les institutions publiques de professeurs de leur opinion, et alors, à moins que les libéraux ne créent des écoles libres, ce qui est très peu probable[1],

  1. A Liège, grâce au dévoûment d’une personne intelligente et riche, la baronne de W…, une institution supérieure pour demoiselles a été fondée récemment ; mais l’évêque a refusé d’y faire donner des leçons de religion : il a mis au ban de l’église les dames patronnesses, et les confesseurs font les derniers efforts pour empêcher les jeunes filles de suivre des cours où la foi est pourtant scrupuleusement respectée. la nomination de M. Delcour, professeur à l’université de Louvain, au ministère de l’intérieur, crée une situation tout à fait anormale pour les universités de l’état. Il tient dans ses mains le sort de ces institutions, lui, le représentant d’une institution rivale dont ses convictions doivent lui faire désirer le succès. Sans doute, il voudra être impartial, mais l’épiscopat le lui permettra-t-il ? Peut-on espérer qu’il fera ce qu’il faut pour attirer des élèves à Gand et à Liège au détriment de Louvain, à qui il appartient ? Le parti libéral aux chambres a déjà attiré l’attention sur cette situation extraordinaire.