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descendre dans la rue. Alors se présente un grave dilemme. Si on cède, le régime représentatif semble faussé, le droit des majorités méconnu. Si on réprime, c’est la guerre civile, et l’histoire de l’Espagne ou mieux encore celle du Mexique montre qu’une fois engagé dans cette voie, on n’en peut presque plus sortir malgré les efforts les plus dévoués des hommes de bien. C’est comme un cercle vicieux d’insurrections et de répressions sanglantes où les citoyens, en proie à toutes les fureurs des factions, oublient le salut du pays et couvrent le sol de ruines. Alors les nations désespérées demandent au despotisme un repos démoralisant, le seul qu’il puisse donner, heureuses encore si elles peuvent trouver en elles-mêmes les élémens d’un gouvernement stable quelconque, et si elles ne sont pas condamnées à rouler, de révolution en révolution, dans une décadence sans remède.

En Belgique, le parti libéral n’a pas perdu l’espérance de revenir au pouvoir par des voies régulières. Après les élections de juin 1870, qui ont amené les catholiques à la direction des affaires, j’ai entendu dire : C’est le règne des charrues croyant en Dieu qui commence. — Le sentiment religieux est indispensable, l’exercice régulier de la liberté ; mais, si ce sentiment doit servir d’instrument politique entre les mains d’un parti qui voudrait asservir les hommes à l’omnipotence du prêtre et porter atteinte aux conquêtes de l’esprit laïque et de la civilisation moderne, la Belgique à son tour passera par des crises très sérieuses.

Le second danger et le plus grave vient en effet des doctrines et des desseins de l’église catholique. Tocqueville, ce grand et clairvoyant esprit, qui a si admirablement décrit les périls qui menacent les sociétés modernes, n’a pas vu celui-là. Il constate la haine furieuse de la révolution, française contre l’église ; mais il l’attribue à l’alliance que celle-ci avait contractée avec l’ancien régime, et, cette alliance ayant cessé, il pense que l’hostilité cessera en même temps. En ce point, il s’est trompé ; cette opposition n’a fait que grandir, s’envenimer et s’étendre. Elle était bornée à certains groupes d’hommes ; elle a envahi tous les pays soumis à Rome : l’Espagne, l’Italie, la France, la Belgique, et tout récemment les pays catholiques allemands, qui en avaient été complètement préservas jusqu’à, ce jour. Faut-il s’en étonner ? Rome a déclaré que la civilisation et les libertés modernes étaient des fléaux, une peste qu’il fallait extirper. Ces anathèmes sont devenus des dogmes depuis que le pape a été proclamé infaillible. Les peuples se laisseront-ils arracher ces libertés qu’ils ont conquises au prix de leur sang et d’un séculaire effort ? Peut-être, mais non sans lutte. De là ces antagonisme, cette guerre à mort entre l’église et l’esprit moderne. Tocqueville ne l’a