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États-Unis y échappent parce que le paysan n’y existe pas. Grâce à un enseignement populaire répandu partout à profusion depuis l’origine, grâce aussi à un culte favorable à la diffusion des lumières, le cultivateur américain est aussi aisé et aussi éclairé que l’habitant des villes. En, Suisse, il n’y a guère de grandes villes. A Genève, la ville est presque tout l’état, comme dans les républiques grecques, et ainsi l’opposition rurale est peu à redouter. Dans les cantons primitifs, avec un régime complètement démocratique, règne un esprit fortement attaché aux vieilles coutumes et hostile aux nouveautés ; seulement, comme il n’y a que des campagnards, la lutte n’est pas à craindre. Elle a cependant éclaté dans le canton de Bâle, et, pour y mettre, un terme, il a fallu diviser l’état en deux demi-cantons, Bâle-ville et Bâle-campague. L’Italie ne connaît pas encore cette cause de troubles parce qu’elle n’a accordé le droit de voter qu’à un petit nombre de citoyens. C’est en France et en Belgique que le danger est surtout apparent. Napoléon III a essayé de gouverner avec l’appui des campagnes, et il y a réussi pendant vingt ans ; mais Paris d’abord et ensuite, à mesure que l’esprit d’opposition s’éveillait, presque toutes les villes ont voté contre les candidats bonapartistes. Les régimens résidant dans les grandes villes ont été gagnés par leur esprit, et ainsi l’empereur s’est trouvé acculé dans une situation très périlleuse dont il n’a cru pouvoir sortir que par une grande guerre, de grandes victoires et d’heureuses conquêtes. L’insurrection de Paris, l’hostilité ou le défaut d’entente entre la capitale et l’assemblée de Versailles, l’antagonisme entre les aspirations républicaines des villes et les projets et les vœux monarchiques de la majorité « rurale » de la chambre, tous les malheurs de la France et la poignante incertitude qui pèse sur son avenir proviennent de l’esprit si différent qui anime les populations des villes et celles des campagnes. La Belgique n’a point passé par d’aussi terribles épreuves, parce que, n’ayant pas le suffrage universel, le gouvernement n’est pas tombé encore d’une façon définitive aux mains des représentans de la campagne. Depuis 1830, et surtout depuis 1848, l’opinion libérale, qui l’emporte dans les villes, a été ordinairement au pouvoir. Or, quand l’opinion des villes gouverne, les troubles ne sont pas à craindre, parce que c’est toujours dans les villes qu’ont lieu les émeutes ou les insurrections qui peuvent renverser les institutions établies. Les campagnes, plus inertes, se laissent gouverner paisiblement par leurs adversaires politiques. Les villes au contraire, plus ardentes et plus remuantes, supportent difficilement que le pouvoir soit exercé par des hommes qui ne pensent point comme elles, et quand une cause de surexcitation arrive, la foule est toujours prête à