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signer. On a pu regretter une ou deux fois que le roi Léopold II n’ait pas encore rencontré ce fameux tiroir dans l’héritage paternel. Sous le feu roi, les ministres s’en plaignaient. Rien de plus naturel. Les hommes au pouvoir croient toujours servir les intérêts du pays en servant ceux de leur parti, puisqu’ils sont convaincus que le triomphe de leur opinion peut seul assurer la prospérité de la nation ; mais précisément parce qu’ils sont hommes de parti, ils peuvent oublier les ménagemens dus à des adversaires politiques et vouloir fixer le pouvoir en leurs mains par des mesures écrasant définitivement la minorité. Il peut être utile et juste que le roi s’y oppose dans les limites qu’autorise la constitution et que la nation tolère. « Je suis convaincu, disait Léopold Ier en 1857, et je le dis à tout le monde, que toute mesure qui peut être interprétée comme tendant à fixer la suprématie d’une opinion sur l’autre, qu’une telle mesure est un danger. » En politique, il faut réduire ses adversaires à l’impuissance en enlevant à leur opinion l’appui que certaines parties de la population leur accordent, non en les écrasant par la force des lois ou des armes.

Résumons ce qui précède. En révoquant des ministres dont les fautes et les maladresses compromettaient le pouvoir et en les remplaçant par des hommes d’état choisis dans la majorité et dignes de la représenter, le roi Léopold II a suivi la ligne de conduite la plus conforme aux exigences du régime constitutionnel et aux enseignemens de l’histoire du gouvernement parlementaire. Il n’a violé la constitution ni dans son esprit ni dans sa lettre. L’apaisement complet du pays prouve déjà la sagesse de sa résolution, et l’opinion catholique ne peut que se féliciter d’avoir à soutenir au pouvoir des hommes capables au moins de bien gouverner. Les crises de 1857 et de 1871, si heureusement terminées, semblent prouver cette règle très importante de pratique constitutionnelle : lorsque, dans un pays libre, un ministère soulève, chez une grande partie de la population honnête, une opposition assez violente et des manifestations assez hostiles pour qu’elles ne puissent être réprimées sans l’emploi des armes, le pouvoir exécutif doit appeler d’autres hommes à la direction du gouvernement.


II

La crise que la Belgique vient de traverser n’a été qu’une de ces émotions passagères qui troublent de temps en temps l’existence des peuples libres ; la Suisse et l’Angleterre en ont vu bien d’autres. En elle-même, elle n’a rien de grave ; malheureusement elle est le