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leur impopularité même, résistent jusqu’au bout aux clameurs populaires. Seulement l’expérience a prouvé que c’est ainsi qu’on marche aux abîmes. Le gouvernement parlementaire est un régime bourgeois, d’un tempérament délicat, qui vit de transactions, de concessions et de ménagemens. Ni le point d’honneur chevaleresque, ni l’aristocratique orgueil du stoïcien n’y sont de mise. Le point. d’honneur, — très différent de l’honneur, qui ne devrait être qu’un autre mot pour dire la vertu, — oblige à ne point céder devant l’ennemi, dût-on y perdre la vie. Dans un duel, qui recule est déshonoré. Certaines personnes voudraient voir le point d’honneur régler la conduite des hommes d’état dans la pratique du régime constitutionnel ; c’est une funeste erreur. Quand on n’expose que sa vie, on peut ne jamais rompre d’un pas ; mais, quand la destinée de tout un pays est en jeu, il faut écouter la voix de la raison et les leçons de l’expérience. Monter à cheval et mitrailler des citoyens désarmés plutôt que de laisser tomber un ministère peut paraître digne d’un chevalier ; mais certainement ce n’est pas ainsi qu’on fonde la liberté. Voyez Louis-Philippe, excellent roi et scrupuleux observateur des lois : il conserve le ministère Guizot parce qu’il a la majorité dans les chambres, il ne tient pas compte de la puissante agitation qui trouble le pays ; la chute du ministère entraîne celle du trône. En 1857, Léopold sacrifie un ministère qui a ses sympathies et que soutiennent les chambres ; il achève en paix son long règne, et laisse un trône solidement appuyé sur le respect de tous les citoyens. Les libertés sont illimitées, et cependant jamais il n’a été nécessaire d’y apporter de restrictions. Son fils vient de l’imiter. On s’indigne, on dit que c’en est fait de la constitution ; mais déjà toutes ces exagérations s’effacent, l’agitation est calmée, et le régime parlementaire continue à fonctionner avec autant de régularité qu’auparavant.

Si la constitution belge doit périr, ce n’est pas l’esprit de modération et de transaction qui la fera succomber ; ce sera l’esprit contraire, la violence, l’obstination et le fanatisme. Supposons que je roi, commandant de l’armée, eût permis au ministère d’Anethan de faire usage des batteries que les ministres avaient fait venir à Bruxelles pour défendre leurs portefeuilles et faire taire de désagréables clameurs ; la répression eût été prompte et complète, car la peur rend féroce, et l’artillerie belge est, assure-t-on, la plus perfectionnée de l’Europe. Les canons d’acier fondu eussent « fait merveille, » et les obus à balles eussent nettoyé les rues ; mais la royauté, avec ce sang sur son manteau, eût-elle été plus forte ? Les deux partis, l’un exalté par son sanglant triomphe, l’autre exaspéré par ce massacre inutile, seraient devenus irréconciliables. La lutte