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désaccord avec la majorité des représentans ou d’apaiser une agitation qui pourrait compromettre la sécurité des institutions établies, dans ce cas il remplit au contraire l’office qui constitue l’un des avantages les plus certains de la royauté. En révoquant le ministère d’Anethan, le roi Léopold II n’avait en aucune manière voulu faire prévaloir sa politique ou sa volonté ; il avait seulement voulu sauver la dignité et l’autorité du gouvernement, compromises par des fautes inexcusables, et mettre fin à des manifestations très naturelles, mais regrettables, sans enlever le pouvoir au parti qui avait la majorité dans le parlement.

Les précédens à l’acte du roi des Belges ne manquent pas dans l’histoire du régime constitutionnel. En Angleterre, à deux reprises différentes (1784 et 1807), le roi George III renvoya le ministère, quoiqu’il fût soutenu par la majorité du parlement. En 1833, George IV retira sa confiance au ministère Melbourne, dont il n’approuvait pas la politique à l’égard de l’Irlande, et il appela aux affaires lord Wellington et Robert Peel, quoique le parti tory ne pût compter que sur le quart des membres dans la chambre des communes. Il fallut une dissolution pour permettre au nouveau ministère de gouverner. Ces laborieuses négociations sont racontées avec détails dans les mémoires de Robert Peel. En Belgique même, le roi Léopold Ier révoqua MM. de Theux et de Meulenaere en 1836 à cause d’une divergence de vues sur la politique étrangère. Il confia le pouvoir au général Goblet, et, M. de Theux ayant refusé de contresigner cette nomination, ce fut M. de Mérode qui le fit. Enfin les événemens de 1857, appréciés à cette époque dans la Revue par M. Guizot, offrent la plus grande ressemblance avec ceux qui viennent de se passer récemment à Bruxelles ; le roi Léopold II n’a fait que suivre exactement la ligne de conduite que son père avait adoptée dans une situation identique. En 1857, le ministère, composé de catholiques modérés, MM. de Decker, Nothomb et le comte Vilain XIIII, avait soumis a la chambre un projet de loi sur la charité qui aurait eu pour résultat de faciliter l’établissement des couvens, déjà si nombreux en Belgique. Les représentans libéraux le combattirent, pendant vingt-sept séances consécutives, avec toute l’énergie d’un patriotisme ardent, effrayé de l’avenir du pays. Ces débats acharnés, les profondes alarmes de l’opinion libérale, provoquèrent une vive agitation. Les rues de Bruxelles se remplirent, à l’heure des séances, d’une foule compacte qui se livrait à des manifestations hostiles envers les représentans catholiques. On prétend que le roi songea un moment à monter à cheval et à se mettre à la tête des troupes pour dissiper les rassemblemens ; le fait est contesté, et en tout cas, s’il conçut cette idée, il y renonça.