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elle avait été mise en œuvre avec habileté et probité. Elle consistait à emprunter en Belgique des capitaux qui, étant abondans, s’y louent bon marché, pour les employer en Hongrie en prêts hypothécaires et en achats de domaines rapportant un grand intérêt parce que le capital y est rare. La seconde idée était plus ingénieuse encore, mais d’une nature si complexe et si scabreuse qu’il vaut mieux l’expliquer que la qualifier. Au congrès de Malines de 1863, un orateur, éclairé par les lumières d’en haut et par celles de la haute banque, s’était écrié : « Les capitaux sont aujourd’hui païens et barbares ; il faut les ranger sous la loi de l’église ; comme les Sicambres, il faut les appeler au baptême. Il est temps de christianiser les capitaux. » C’était l’idée que les jésuites avaient tenté de mettre à exécution à la fin du siècle dernier, quand ils établirent dans plusieurs pays des maisons de commerce et des comptoirs financiers. Concentrer la richesse entre les mains des familles dévouées à l’église, donner aux serviteurs de la foi la direction des ressorts économiques et des sources de la production, c’est réaliser d’une façon sûre, sourde, invisible et conforme aux mœurs d’une époque tout industrielle, le rêve d’omnipotence théocratique caressé par la papauté au moyen âge. Le dessein était vaste ; il sera poursuivi, et avec le temps il finira peut-être par réussir dans certains pays. M. Langrand apporta dans l’exécution une habileté merveilleuse, mais en même temps une avidité de succès qui devait compromettre ses opérations, soit que son génie fût au-dessous de la grandeur de l’œuvre qu’il avait conçue, soit qu’il se laissât entraîner par la soif insatiable de dividendes et de primes de ses associés.

Au début, tout marcha admirablement. Les cultivateurs belges sont à la fois pieux et parcimonieux. Chaque année, ils font leurs pâques et des économies ; en tout, ils obéissent à leur curé. Donc, pour leur faire livrer leurs épargnes, il fallait obtenir l’appui du clergé et des évêques, et pour cela le moyen infaillible était d’obtenir une recommandation du pape ; afin de gagner le pape, il fallait venir au secours de sa caisse, toujours en déficit. M. Langrand trouva une combinaison vraiment sublime. Il fit un emprunt romain au pair, la rente romaine étant cotée à 70 environ ; puis il proposa aux souscripteurs belges de prendre du nouvel emprunt en leur accordant pour chaque titre de rente deux titres de ses sociétés financières faisant prime sur le marché d’une somme supérieure à celle que le titre papal perdait. Excellente affaire pour tout le monde ; le souscripteur secourait l’église, semblait pouvoir réaliser ses actions avec bénéfice, et recevait comme dividende assuré les bénédictions du saint-père ; le grand financier obtenait,