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une mâle simplicité. On peut avoir la meilleure intention de le ménager par un système de demi-mesures, on ne fait que le dérouter, et c’est surtout sensible dans les finances. Ici la situation est simple, terriblement simple. Il y a encore 250 millions à trouver sur les 650 millions d’impôts nouveaux à créer : d’où tirera-t-on cette ressource nécessaire ? L’assemblée s’occupe précisément de cette question dans une discussion des plus intéressantes. Évidemment, c’est bien entendu, tous les impôts sont durs, ennuyeux, et l’impôt sur le revenu qu’on discute aujourd’hui a particulièrement des inconvéniens que M. Thiers a démontrés avec sa supériorité habituelle. Il peut être un moyen de taxation arbitraire dans la main des partis. S’il s’applique à tout le monde, il peut être cruel ; s’il s’arrête à un certain chiffre de revenu, il ne produira pas assez. Il faut cependant trouver de l’argent, et la question est de savoir s’il ne vaut pas mieux encore frapper le revenu qu’atteindre les sources du travail en grevant les matières premières. Un député a dit que la solution du problème était dans la balance du commerce, dans le développement du travail, dans l’excédant de nos exportations sur nos importations. Oui, sans doute, mais nous revenons ici à la politique qui seule peut assurer au travail la garantie et la protection d’une paix durable extérieure et intérieure.

Une de nos faiblesses qui survit à nos malheurs, c’est de remettre sans cesse tout en question dans nos affaires, même dans celles qui ont échappé au naufrage, comme si après la justesse du coup d’œil dans le choix des entreprises l’esprit de suite n’était pas la marque la plus décisive de la vitalité d’une nation. Nous avons la singulière et dangereuse manie de faire de la politique avec des impressions, et à la moindre difficulté de vouloir tout recommencer ou tout abandonner, sans nous souvenir que la patience et le temps sont de moitié dans toutes les œuvres humaines. Depuis le jour, et il y a quarante ans de cela, où le drapeau de la France est allé flotter sur la terre d’Afrique, n’est-ce point notre histoire à l’égard de l’Algérie ? que de fois n’a-t-on pas vu les meilleurs esprits passer des illusions au découragement, les systèmes se succéder, le conflit des opinions mettre en doute et en péril l’avenir de cette conquête française ! Un incident suffisait pour raviver toutes ces questions de l’occupation restreinte ou de l’occupation indéfinie, de l’assimilation à la France ou du royaume arabe, du régime civil ou du régime militaire, qui en définitive ne pouvaient avoir d’autre résultat que de paralyser l’essor de notre colonie africaine par l’incertitude des idées et la confusion des directions, par le peu de foi et de fixité que nous semblions porter dans une telle œuvre. Il n’est pas jusqu’à la dernière insurrection, contre-coup peut-être inévitable de nos derniers revers, qui n’ait servi à remettre en mouvement toutes les polémiques, à réveiller ces défiances dont le général Ducrot lui-même se faisait récemment l’organe dans un livre, la Vérité sur l’Algérie, qu’on pourrait ap-