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qu’on voit assez souvent, cette vie laborieuse, difficile, où, selon le mot spirituel de M. Thiers, on est plus d’accord qu’on ne veut le dire, — à moins que ce ne soit tout le contraire, — qui semble remettre sans cesse en question ce que personne ne veut ébranler, où le gouvernement et l’assemblée s’épuisent en transactions, en combinaisons. À ce système, il y a deux dangers des plus sérieux. Le premier, c’est qu’en se fatiguant soi-même on affaiblit une situation qui est la garantie du pays dans les circonstances cruelles où il est placé, on se détourne du grand but, du suprême intérêt national, pour lequel on devrait réserver toutes les forces intactes, unies, irrésistibles. Le second danger, c’est qu’à ce jeu d’antagonismes quotidiens et mal définis le système parlementaire lui-même s’énerve, risque d’être atteint dans son prestige et dans son efficacité. Il s’émousse dans ces batailles confuses, et il donne un futile prétexte à ses détracteurs vulgaires et intéressés, toujours prêts à répéter que c’est un régime plus propre à l’étalage des vanités personnelles, aux luttes stériles de la parole, qu’à l’action. Et voyez où l’on arrive, où l’on peut arriver du moins, si on n’y prend garde : d’un côté, aux yeux de tous ceux qui réfléchissent ; le maintien de l’état actuel est un intérêt de premier ordre, rien ne peut, rien ne doit être changé, tant qu’il y a un Prussien en France, tant que la libération du sol n’est point accomplie ; d’un autre côté, assemblée et gouvernement pourraient sans le vouloir aboutir à de véritables impossibilités par des divisions qui usent toutes les forces, qui sont l’espoir des radicaux, des bonapartistes, de tous ceux qui cherchent une victoire jusque dans les malheurs publics, au risque de préparer des malheurs plus grands encore.

On ne veut point évidemment en venir là ; c’est dès lors le plus simple devoir de patriotisme d’éviter tout ce qui pourrait y conduire. Disons le mot, ce qui manque dans la marche des affaires, par la faute des circonstances peut-être autant que par la faute des hommes, c’est une certaine vue simple des choses, une certaine décision, une certaine grandeur. Le pays, quant à lui, ne demanderait pas mieux que de se sentir guidé et entraîné, de se remettre à l’œuvre, de renouveler l’exemple qu’il a déjà offert une fois en 1815, à cette époque où il avait à supporter des charges qui étaient relativement aussi lourdes que celles qu’il a aujourd’hui à subir. Le pays n’a que de la bonne volonté. Qu’on prenne cet exposé financier qui a été récemment présenté à l’assemblée et qui est réellement instructif. Malgré toutes les épreuves qui ont marqué cette cruelle année 1871, les rentrées de la contribution foncière sont à peine en retard de 3 ou 4 millions. Les recettes des impôts indirects égalent celles des années les plus prospères. Le commerce général, pour les dix premiers mois, est de plus de 5 milliards, et n’est que de 100 millions au-dessous de celui de 1869. Avec un tel pays si prompt à se relever, à reprendre son activité, que ne pourrait-on pas faire ! L’essentiel est de lui inspirer de la confiance, de lui parler avec