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jourd’hui qu’une diversion périlleuse. Il y a un but tout tracé, tristement indiqué par les circonstances, et il est bien certain qu’on ne l’atteindra pas par des agitations ou par de petites combinaisons. La seule politique qui puisse y conduire apparaît aussi clairement que le but lui-même. Il faut beaucoup oublier, beaucoup sacrifier. Il faut d’abord et avant tout que la France soit calme, paisible, qu’elle puisse se raffermir et retrouver son activité, qu’elle ne soit pas sans cesse exposée à être jetée dans des aventures nouvelles, et qu’elle sente la protection, la direction des pouvoirs qui la représentent et sont sa sauvegarde. Tout est là, et c’est justement ce qui fait aujourd’hui du radicalisme un éclatant contre-sens, un véritable ennemi public, le danger perpétuel de cette situation laborieuse que nous traversons, où bon gré mal gré nous sommes condamnés à vivre assez longtemps encore. Assurément, s’il y a une ville qui ait souffert des agitations et des tyrannies radicales, c’est Paris. S’il y a une ville qui doive aspirer au repos pour retrouver sa vitalité et sa splendeur, c’est encore Paris. Plus que jamais Paris serait intéressé à ne point être remué par les passions révolutionnaires, ne fût-ce que pour faciliter ce retour de l’assemblée nationale et du gouvernement qui trancherait une question aussi grave que délicate. Qu’arrive-t-il cependant ? Voilà une élection qui se prépare, qui se fera dans huit jours. Quel sera le candidat du parti conservateur ? On ne le voit pas bien encore, à moins que ce ne soit définitivement un homme fort honorable d’ailleurs, républicain modéré et président du conseil municipal de Paris, M. Vautrain. Le radicalisme, quant à lui, a pris les devans, il se remue, il a toute sorte de comités, il tient des réunions qui ressemblent un peu, il faut le dire, à une exhumation d’un autre temps, et du premier coup il a trouvé son candidat, un candidat au nom retentissant, flamboyant, M. Victor Hugo lui-même, qui, bien entendu, s’est empressé d’accepter. M. Hugo, il est vrai, a été un moment ballotté avec le général Cremer et avec quelques autres personnages considérables ; il a fini par l’emporter, et le voilà briguant le suffrage public pour aller représenter « l’admirable peuple parisien » dans cette assemblée de Versailles a dont il se faisait un honneur de ne plus être » il y a trois mois.

Avoir été un poète de génie, le poète des Feuilles d’automne, d’Hernani, de Notre-Dame de Paris, avoir été pensionné de Charles X, pair de France sous la monarchie de 1830, représentant de la république conservatrice en 1848, le Memnon du premier empire, le parrain du second, et en venir sur ses vieux jours à être le candidat de quelque comité inconnu qui se dit le délégué de « l’admirable peuple parisien, » du peuple de la commune, et qui vous impose le mandat de ses fantaisies révolutionnaires, c’est la destinée de M. Victor Hugo, — qui a oublié cette humiliation des vanités en déclin dans son livre des Châtimens ! Oui, M. Victor Hugo a subi, il a signé humblement le mandat impératif, qu’il