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cependant ? On était à quelques jours du dénoûment, on n’entrevoyait point encore ce terrible inconnu dont chaque heure nous rapprochait. Non certes, on ne distinguait à si courte distance ni la défaite du Mans, ni le revers de Saint-Quentin, ni la catastrophe de l’armée de l’est, ni la chute prochaine de Paris. Avant que le mois ne fût écoulé, tout allait être accompli, et après la guerre étrangère c’était la guerre civile qui allait être allumée par des passions sans pitié pour la France. 1er janvier 1871 ! voilà une date dont nous nous souviendrons, voilà une année nouvelle qui commençait dans des conditions étranges pour la ville de l’intelligence et des arts, des fêtes et des plaisirs, sans parler de ce qui l’attendait encore. C’était cependant ainsi, et auprès de ce qui se préparait, si on avait pu le prévoir, le bombardement allemand aurait paru une façon presque supportable de célébrer le renouvellement de l’année.

Avoir vu en quelques mois les Prussiens et la commune, c’est la destinée de Paris dans cette néfaste période de 1871. Avoir échappé au double fléau, aux plus meurtrières violences d’une crise à la fois extérieure et intérieure, se retrouver avec d’immenses désastres à réparer sans doute, mais en même temps avec la liberté relative de ses forces et de ses résolutions, c’est presque une victoire pour la France. Ces événemens qui étaient devant nous il y a un an, que nous avions à traverser dans le sang et le feu pour arriver à la paix à la paix avec l’étranger et à la paix avec nous-mêmes, ces événemens en effet sont maintenant derrière nous. Ils pesaient de tout leur poids sur le pays, ils étaient notre fatalité au 1er janvier 1871 ; ils ne sont plus qu’un amer souvenir à cette heure où nous allons entrer dans une année nouvelle qui a la fortune de commencer sous de moins sombres auspices, que nous sommes les maîtres d’employer utilement à relever la patrie française, à dégager tous ces germes de vie nationale qui n’ont été que pour un moment enfouis et comme dissimulés sous les ruines. C’est là la différence entre le 1er janvier 1871 et le 1er janvier 1872.

Saluons-la donc cette année nouvelle, qui peut être meilleure, si nous le voulons, qui sera ce que nous la ferons. Saluons-la, non pas d’un cœur léger et triomphant, mais avec le souvenir des mauvaises heures que nous avons passées, avec le sentiment vrai de la condition qui nous est faite, avec une bonne volonté exempte d’illusion comme de défaillance. Assurément la situation telle qu’elle apparaît aujourd’hui, au commencement de 1872, cette situation reste sous bien des rapports obscure et difficile ; on voudrait s’y méprendre qu’on ne le pourrait pas, qu’on se sentirait à chaque instant rejeté en face de la réalité cruelle. Oui, il y a bien des problèmes à résoudre, bien des écueils à éviter, bien des passions à soumettre, bien des blessures à guérir. La fatalité des choses nous a laissé une véritable liquidation morale, politique et matérielle à poursuivre, en même temps que la liberté complète et dé-