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lignes que lui adressait le marquis en voyage : « vous trouverez dans la cassette, que j’ai remise au messager de Bayeux les mémoires de Joli que M. de Caumartin m’a donnés pour vous et 2 livres de tabac d’Espagne, du meilleur que j’ai pu trouver. « Il faut nous la représenter durant les longues journées des saisons pluvieuses, dans ces pays baignés d’une éternelle humidité, sous les voiles épais et le gris implacable d’un ciel de Normandie, aussi morne que celui des Rochers de Mme de Sévigné. Là, du fond de sa prison brumeuse, appelant à son secours tous ceux qui lui gardent un souvenir et une affection, elle lève et recrute au loin, avec la plus souple ténacité, une légion, de joyeux défenseurs qui l’arracheront aux étreintes de son mortel ennemi : elle les rallie quand ils faiblissent, les remplace quand ils désertent. Rien ne l’arrête, et son désir est le plus fort ; elle a son journal enfin, qui, partant des points opposés du monde parisien, vient deux ou trois fois la semaine concourir à l’œuvre d’apaisement et de santé d’esprit où l’opium, le tabac d’Espagne et la dévotion ont pareillement échoué.

On peut diviser en trois catégories les correspondans de la marquise : il y a d’abord les parens, ce sont les plus nombreux et les plus sûrs. Quelle variété de relations, quelles ressources pour un commerce épistolaire dans une famille où la seule maison des Caumartin comptait jusqu’à sept mariages ! Cette parenté florissante, qui comprenait les d’Ormesson, les Breteuil, les Choisy, les de Tresmes, — et nous ne citons que les plus illustres, — se partage elle-même et se subdivise en deux groupes distincts, celui des jeunes et celui des vieux. A mesure que les générations croissent et se multiplient, la marquise attentive les saisit, les enrôle ; elle leur met aux mains la plume, au cœur le désir de lui plaire et la vocation de la chronique. Parmi ces jeunes recrues, au premier rang de ces pourvoyeurs de nouvelles figurent les deux futurs ministres de Louis XV, le comte et le marquis d’Argenson. Les simples amis, troupe volage, ne viennent qu’en seconde ligne ; ce sont les en-cas de la marquise, c’est la cohorte auxiliaire destinée à suppléer les défaillances des correspondans réguliers. Cet ensemble flottant de bonnes volontés et d’intelligences très inégales s’appuyait sur une réserve peu brillante, mais solide : comme un vigilant capitaine, prompt à resserrer le faisceau de ses forces et à prévenir d’irréparables déroutes, la marquise acceptait tous les concours, tirait parti des plus humbles fidélités ; elle avait organisé en sous-ordre un service de dépêches que lui expédiaient ses gens d’affaires, les commis des deux Caumartin, les valets de chambre de ses amis. A défaut des maîtres, elle prenait les laquais. C’est avec cette patience habile, avec un art infini, qu’elle a réussi à constituer une sorte d’agence