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nouveaux électeurs d’empire ont imposées à l’empereur Guillaume ? Il n’y en a pas. Frédéric-Guillaume IV avait déclaré le 3 février 1847, en ouvrant les états de son royaume, « qu’il ne permettrait jamais qu’un morceau de papier s’interposât entre Dieu et lui, et qu’on prétendît gouverner l’état par les paragraphes de cette pièce écrite à l’instar d’une seconde providence. » Voilà le secret du cœur. Le prince royal de Prusse, l’empereur d’aujourd’hui, était alors le chef du parti absolutiste. On l’a vu charger à la tête de la cavalerie, sur la place du palais de Berlin et sur les coteaux de Bade, les patriotes qui l’acclament à cette heure. Qui est changé depuis lors ? Ni les uns ni les autres. L’Allemand garde des sentimens qui l’enflamment, le Zollern garde sa fière devise, d’autant plus redoutable qu’héritier des Otton et des Staufen, il réunit les aspirations du Saxon et du Souabe.

La population prussienne, qui doit aux Zollern son existence politique et la gloire dont elle est fière, leur est justement attachée. C’est un corps formidable par sa constitution actuelle ; bien autrement puissant que ne l’étaient les peuples des états héréditaires de la maison d’Autriche, il donne aux Zollern un appui bien différent aussi. Les états héréditaires n’étaient qu’un appendice du corps germanique, un accessoire peu influent. La Prusse est au contraire le corps principal et le moteur de l’empire nouveau. Ce corps se compose d’une population rurale forte, sobre, féconde, pauvre, intelligente dans une limite bornée, profondément hiérarchique et subordonnée, ne sortant que par les armes de l’humilité de sa condition, acceptant comme légitime l’infériorité de sa position sociale, croyant même à la supériorité originaire des races qui la gouvernent. C’est toujours la hoerickeit du moyen âge. Le paysan prussien est parfaitement discipliné dans la vie civile ; transporté dans la vie militaire, il y devient un excellent soldat. Au-dessus de la classe populaire, les Zollern n’ont à compter qu’avec un très petit nombre de bourgeois proprement dits. Il n’y a pas en Prusse de classe moyenne qui ressemble à la nôtre par les mœurs et les idées. Ce sont encore les ministeriales d’un autre temps. Dans les villes commerçantes seulement se produit cette classe à demi émancipée ; sa condition est encore humble et soumise. Elle a quelque rêve vague d’égalité vis-à-vis de la noblesse ; mais l’éducation, l’instinct hiérarchique de la race allemande et l’autorité des lois refoulent cette aspiration timide, que l’exemple des révolutions sociales de l’Europe n’a nullement enhardie. Au-dessus de toutes les autres classes de la société prime donc et domine sans difficulté la noblesse prussienne ; elle seule s’occupe des affaires politiques, elle occupe les grandes charges, les emplois, les grades dans l’armée, sous des