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1525, encourageant par son exemple les prêtres et les moines à rentrer dans les droits de la nature et de la raison. S’il rendit des citoyens à la patrie, il lui rendit aussi son patrimoine en mettant dans son parti beaucoup de princes, pour qui la dépouille des biens ecclésiastiques était une douce amorce. » Et en ce qui touche la réforme, voici son opinion : « si l’on veut réduire les causes des progrès de la réforme à des principes simples, on verra qu’en Allemagne ce fut l’ouvrage de l’intérêt, en Angleterre celui de l’amour, et en France celui de la nouveauté, ou peut-être d’une chanson… L’électeur Joachim II acquit par la communion sous les deux espèces les évêchés de Brandebourg, de Lebus et de Havelberg. »

C’est pour enseigner aux Prussiens leur histoire particulière dans ce sens-là que Frédéric II a composé le manuel connu sous le nom de Mémoires pour servir à l’histoire du Brandebourg ; il n’en cache pas l’intention. Cet abrégé a été rédigé pour devenir populaire, et le succès ne lui a manqué ni en Prusse, ni ailleurs ; vingt éditions en ont reproduit les pages piquantes. L’incomparable esprit de Frédéric s’y déploie dans tout son jour. Cet esprit a pour nous un charme véritable, car Frédéric II est un esprit français dépaysé chez un Zollern. Dans ses mémoires, Frédéric II professe la plus intime admiration pour Louis XIV et la plus profonde sympathie pour la France, à l’influence de laquelle il rapporte avec sincérité la grandeur même de sa monarchie. Par le grand-électeur et le grand Frédéric, Berlin était devenue une ville presque française. Le grand Frédéric n’aimait et ne cultivait que la langue de la France ; au milieu des œuvres volumineuses qu’il a laissées, on ne trouve pas une ligne d’allemand. Il a chéri Voltaire et caressé les philosophes ; c’était une artillerie dont il tirait grand parti pour la publicité européenne, déjà toute-puissante sur l’opinion ; les philosophes n’étaient pour lui qu’un instrument. Ils ont eu le tort irréparable d’avoir approuvé, préconisé le démembrement de la Pologne pour être agréables à Frédéric II. Malheureusement le dernier mot de ce grand esprit était d’être le plus fort. La brutalité du soldat fait taire en lui le philosophe ; l’ami, le rival de Voltaire se retrouvait avec délices caporal. Il n’a jamais visé au Marc-Aurèle ; Albert l’Ours, mieux léché, faisait mieux son affaire. L’idée de justice et de morale n’entrait que pour la forme dans ses conceptions ; il s’en moquait très volontiers. S’il a respecté le moulin de Sans-Souci, c’était pour mieux voler des provinces. Rien n’eût paru, du reste, plus surprenant à son bon sens que l’aversion actuelle de la Prusse pour la France. L’influence du grand Frédéric est impuissante à la combattre, tant la passion est prononcée ; mais, à tout prendre, le grand Frédéric lui-même en a sa part de responsabilité, car cette