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politique dont nous avons fait la triste expérience. Dans le code de Frédéric II en effet, l’honneur public c’est le succès, la morale c’est l’intérêt, les sentimens sont un trafic. Au sujet de l’appropriation révoltante de la Prusse teutonique par le grand-maître Albert, Frédéric se borne à dire : « Les chevaliers se conduisirent comme font les plus faibles, ils protestèrent et ne purent rien empêcher. » Ailleurs : « L’empereur, se trouvant en force, ne fit aucun cas des libertés du corps germanique. » Toute l’affaire était de se trouver en force. On sait qu’après la bataille de Nordlingue de 1635 l’électeur de Saxe fit la paix de Prague, qui fut une calamité pour les protestans. L’électeur de Brandebourg, croyant l’empereur le plus fort, suivit cet exemple et abandonna ses alliés. Frédéric ne voit rien de plus naturel, car l’empereur promit à l’électeur de Brandebourg de maintenir ses droits sur la Poméranie et de ne pas revendiquer les biens d’église qu’il réclamait. Dès lors, qu’avait à faire l’électeur de Brandebourg de rester dans le camp des protestans ? Si les Suédois, battus par le grand-électeur à Fehrbellin, sont déclarés ennemis de l’empire pour l’avoir attaqué dans un de ses membres, Frédéric fait observer que, si les Suédois avaient été secondés par la fortune, ils auraient trouvé l’empire pour allié.

Ainsi les souvenirs nationaux et de famille eux-mêmes sont indifférens à Frédéric II ; le succès et le profit obtiennent tout son intérêt. Parle-t-il d’un de ses aïeux du margraviat, Jean dit Cicéron, qui conduisit à l’électeur de Saxe un secours de 6,000 chevaux, et prit dans les assemblées de son temps une certaine autorité : « Je voudrais, dit-il, qu’on eût rapporté d’autres preuves de son éloquence, car, pour celui-ci, les 6,000 chevaux me paraissent avoir été le plus fort argument, » et, comme on aurait pu croire à une simple boutade, il se hâte d’ajouter gravement : « Un prince qui peut décider les querelles par la force des armes est toujours un grand dialecticien. » Examine-t-il l’influence de la religion sur les affaires humaines, son unique conclusion est que « la religion ne détruit pas les passions chez les hommes, et que les gens d’église, de quelque opinion qu’ils soient, calvinistes, luthériens ou catholiques, sont toujours prêts à opprimer leurs adversaires, quand ils se voient les plus forts. » Ses jugemens sur la réforme et sur la guerre de trente ans sont marqués du même esprit. La religion sert de prétexte aux deux partis ; le plus autorisé, c’est le plus fort. Il compte si bien sûr l’esprit politique de sa noblesse, la seule qui fût appelée à le lire, qu’il se livre librement avec elle à toute sa verve à l’endroit de Luther même. « Il avait goûté, dit-il, le plaisir de dire ses sentimens sans contrainte (en 1516), il s’y livra depuis sans bornes ; il renonça au froc, et épousa Catherine de Bore en