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de guerre lui fît son procès. Il épouvanta même un jour la reine par cette terrible annonce : « Votre fils est mort. — Quoi ! dit la malheureuse, vous auriez été le meurtrier de votre enfant ! — Ce n’était plus mon fils, dit le roi, c’était un déserteur qui méritait la mort. » Il n’était pas mort pourtant, mais les emportemens furieux et répétés du roi inspiraient les plus grandes craintes. L’empereur Charles VI, en son nom et au nom du corps germanique, intervint avec instance et sans succès. Le roi fut inflexible, et la nature se soulève au récit des barbaries auxquelles il s’abandonnait chaque jour envers la mère et la sœur du prisonnier. Le conseil de guerre fut réuni. Le roi comptait sur la sévérité militaire du vieux d’Anhalt pour le présider ; mais, au moment de recueillir les voix, d’Anhalt, tirant son sabre, dit : « Quiconque ne votera pas comme moi, je lui abats les oreilles, » et le prince fut acquitté. Furieux de ce jugement, le roi l’annula, choisit un autre conseil, et obtint que le prince fût condamné à mort avec un complice de son évasion, le jeune Katt, retenu prisonnier comme lui. L’échafaud fut élevé sur la place même de la citadelle, de plain-pied avec la chambre du prince, pour qu’on pût y arriver par la fenêtre. Le passage était tendu de noir. Chaque coup de marteau des ouvriers retentissait aux oreilles du prince, qui s’attendait à périr à l’instant. Tout à coup le commandant de la citadelle vint lui annoncer qu’il allait assister au supplice de Katt ; tel était l’ordre du roi. Tout. le monde connaît la scène tragique de cette exécution, dont les détails déchirans et les féroces raffinemens ont été conservés par l’histoire. Le prince évanoui fut porté dans son lit ; on le crut réservé à une exécution ultérieure et prochaine, et sa grâce fut obstinément refusée aux sollicitations des cours étrangères.

L’ambassadeur de l’empereur ayant renouvelé ses instances et réclamé la procédure au nom de la diète, germanique, le roi déclara qu’il irait faire exécuter l’arrêt en Prusse, hors des terres de l’empire. Enfin une rupture avec l’empereur paraissant imminente, le pardon fut accordé ; ce ne fut cependant que longtemps après que le père et le fils se rencontrèrent, et que ce dernier reparut à la cour, où son attitude fut toujours froide et réservée. Tel avait été l’effet du militarisme prussien sur l’esprit d’un roi recommandable d’ailleurs par des vertus publiques, irréprochable dans ses mœurs privées. La vie militaire était avec le culte de : Dieu le but de la destinée humaine sur la terre aux yeux de Frédéric-Guillaume, il ne manquait pas d’esprit à l’occasion : George Ier de Hanovre l’appelait « mon frère le sergent, » et le roi de Prusse appelait le roi d’Angleterre « mon frère le comédien. » Il augmenta l’étendue de ses possessions par des acquisitions nouvelles, mais son avarice plutôt que