Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 97.djvu/171

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

obéissante au commandement, une noblesse nombreuse, pauvre, sobre, belliqueuse, difficile au joug, et qu’elle ne put soumettre à la longue qu’en favorisant ses inclinations militaires et au moyen d’une exacte discipline. De là est venue la constitution militaire du Brandebourg qui date de cette époque reculée. Les margraves firent trafic de leurs bandes armées, non-seulement pour augmenter leur influence dans l’empire, mais encore pour étendre leur puissance territoriale. Ils ont déployé à cet égard un remarquable esprit de suite dans leur conduite politique. On les voit pendant le XVIe siècle exploiter les dissensions religieuses pour accroître leurs possessions, et passer d’un parti à l’autre sous l’impulsion de leurs intérêts. Nous avons raconté ici même, il y a un an, l’acquisition odieuse du duché de Prusse par Albert de Brandebourg, qui, grand-maître de l’ordre teutonique, abjura le catholicisme pour la doctrine de Luther, et s’attribua la propriété souveraine d’une grande province de l’ordre, dont le dépôt lui avait été confié à titre chevaleresque. Ç’a été le scandale du XVIe siècle. L’histoire en est écrite partout, ainsi que celle d’un autre Albert de Brandebourg dont les brigandages durent être réprimés par Maurice de Saxe, commis par la diète à cet égard. Au Brandebourg fut ainsi annexé un duché considérable, et les cadets des Zollern du Neckar dictèrent des lois à de vastes territoires sur la Baltique, — du rocher à la mer. Pendant la guerre de trente ans, l’égoïsme de la maison de Brandebourg a gravement compromis l’Allemagne : Schiller en a confié la plainte à l’histoire. Son intérêt a été la boussole unique que le Brandebourg a suivie pendant cette époque néfaste. Cependant ces potentats nouveaux et d’ordre encore secondaire ne commencent à jouer un rôle en Europe qu’après la paix de Westphalie et avec le prince connu sous le nom de grand-électeur.

Frédéric de Nuremberg avait, au XIIe siècle, fait la place de sa maison dans l’ordre des princes allemands ; le grand-électeur Frédéric-Guillaume lui a fait sa place dans l’ordre des souverains modernes : c’est le créateur sérieux de la puissance prussienne. L’autre avait fondé une famille, une seigneurie ; celui-ci a fondé une dynastie, un état : il avait recueilli de ses devanciers un fief de l’empire, il a laissé à ses successeurs un état de l’Europe. Ordonnateur habile et sévère des élémens si divers d’organisation et de force que renfermaient ses possessions, il les a fondus : il a fixé, régularisé la politique intérieure des margraves-électeurs de Brandebourg, et il a posé pour eux les fondemens d’une politique extérieure indépendante. Avec des parties disparates et mal assorties, il a construit la charpente d’un tout homogène, et il a converti des populations à peine fixées en une armée disciplinée. Ses ancêtres ont promené