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XVIIIe comme au XIXe siècle la primauté de la force sur le droit, et en disposant aujourd’hui, pour le service de son ambition, de l’entraînement populaire d’une grande nation européenne qu’elle transforme en un peuple de soldats. Et qu’on ne croie point qu’au hasard accidentel d’un seul jour ou à l’ambition désordonnée d’un seul homme soient dus l’accroissement de puissance et la menace d’envahissement qui pèsent sur le monde occidental ! c’est l’œuvre successive d’une race tout entière, le soldat alternant avec le politique, la force avec la ruse, tous cheminant avec persévérance vers l’agrandissement indéfini et les destinées inconnues.

L’histoire de cette maison et de la voie qu’elle a suivie dans la poursuite de sa fortune doit être à coup sûr d’un curieux intérêt. La prétention et l’orgueil des grandes familles d’Allemagne est de rattacher leur origine non pas à des conquérans du sol, comme le voulait le comte de Boulainvilliers pour la noblesse française, mais aux chefs légendaires qui ont dirigé les migrations teutoniques dans les temps anciens, ou aux héroïques guerriers qui ont repoussé l’agression romaine, ou aux chefs audacieux qui ont guidé l’invasion des barbares à travers l’empire d’Occident, ou enfin aux sectateurs d’Odin qui ont résisté par les armes à l’introduction violente du christianisme dans la Germanie indépendante. Ces traditions, qui transforment en une sorte de mythologie nationale l’histoire de la grande noblesse, sont restées chères à l’Allemagne, où le patriotisme populaire met au nombre des sentimens publics le respect et la subordination dus à une classe supérieure si profondément identifiée à toutes les vicissitudes politiques du pays ; comme nulle nation ne se complaît dans son histoire mieux que la nation allemande, il en résulte que la hiérarchie des classes y est comme un des enseignemens de l’amour de la patrie. Qui oserait se révolter contre les souvenirs d’Arminius, des Welfs, des Étichonides, des Agilulf, des Witikind et. des héros des Nibelungen ? La féodalité, si profondément enracinée encore à cette heure en Allemagne, mais qui s’y est développée plus tard qu’ailleurs, parce que le sol n’a pas été conquis, sinon peut-être sur une population antérieure à Odin, la féodalité offre en Allemagne un caractère historique tout particulier ; les races féodales semblent même s’y épuiser plus lentement qu’autre part. La maison de Zollern, quoique d’une antiquité respectable, est la plus jeune des maisons souveraines allemandes.

Par son origine, elle appartient au sud de l’Allemagne, où elle a laissé un rameau vivace de son grand arbre. Au centre de la Souabe, entre le Neckar et le Danube, s’élève un plateau qui sépare les bassins des deux fleuves, et que traverse une vieille voie romaine conduisant autrefois des stations militaires de la Rhætie et du lac de