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intervention de la mère-patrie dans leurs affaires d’administration, qui ne souffriraient pas qu’elle leur envoyât des émigrans pauvres ou vicieux, qui non-seulement s’imposent à volonté telles taxes intérieures qu’il leur convient, mais encore règlent leurs tarifs des douanes comme elles l’entendent, et qui, comme toutes les contrées où l’industrie est dans l’enfance, ont un penchant marqué pour les doctrines économiques de la protection, tandis que l’Angleterre arbore le drapeau du libre-échange le plus absolu. Quand l’Angleterre est en présence d’une nation étrangère où dominent les mêmes idées, elle en est quitte pour conclure un traité politique et commercial qui, en regard de charges onéreuses, stipule certains avantages ; mais quel traité peut intervenir entre la reine et ses propres sujets ? Les deux contractans ne discuteraient pas sur un pied de parité, car d’un côté on demande, on exige, de l’autre on ne peut qu’accorder ou refuser, et le refus est rarement sans danger. Cependant il y a matière à de fréquens contrats entre les deux parties ; tantôt il s’agit de conventions pour l’établissement de lignes de paquebots et de télégraphes à frais communs, tantôt il faut assurer l’état civil des émigrans qui reviennent dans la mère-patrie ou des enfans nés dans la colonie. Ces affaires se règlent entre étrangers par des traités internationaux, entre concitoyens par les lois d’un parlement auquel tous doivent obéissance ; comment faire dans ce cas-ci, puisqu’il n’y a pas place pour la diplomatie, et que les parties en cause sont régies par des parlemens indépendans les uns des autres ?

Si la situation est délicate en temps de paix, combien ne le serait-elle pas davantage en temps de guerre ? Étrangères comme elles le sont aux tiraillemens de la politique européenne, que diraient ces colonies, si elles se voyaient entraînées dans un conflit dont le but aussi bien que l’origine leur serait indifférent ? Leurs navires seraient exposés à la saisie, leurs ports au blocus ; des étrangers établis sur leur territoire seraient transformés en ennemis. Les flottes britanniques dispersées sur l’immense superficie des mers ne protégeraient pas mieux les marines coloniales que les croiseurs des États-Unis n’ont protégé le commerce américain contre les croiseurs confédérés pendant la guerre de la sécession. Assurément la tentation serait grande de répudier toute solidarité avec les belligérans et d’arborer le pavillon neutre. Les Anglais d’outre-mer seraient-ils retenus par des souvenirs de famille et de patrie ? On en peut douter, car l’aptitude à coloniser, dont ils sont si fiers, ne va pas sans une certaine insouciance de la famille et sans un certain dédain du pays natal.

Quelques hommes d’état ont imaginé que le seul moyen de sortir