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« Une constitution à Malte ! disait le duc de Wellington, autant faire des élections dans l’armée ou bien instituer un parlement à bord d’un vaisseau. » Ce qui montre qu’en Angleterre aussi bien qu’ailleurs l’intérêt étouffe quelquefois la logique. Et cette population, qui paie un budget de 4 millions de francs, ne possède même pas de franchises municipales. Tout ce qu’on a bien voulu lui accorder a été l’institution d’un conseil de dix-huit membres, dont huit sont élus par leurs concitoyens ; encore ce conseil n’est-il que consultatif, en sorte que le gouverneur, absorbé par les devoirs militaires dont il a la charge, décide en maître souverain dans toutes les affaires de l’administration civile, à laquelle il est le plus souvent étranger.

Pour résumer en quelques chiffres l’ensemble des colonies britanniques, on peut dire qu’elles se composent d’une quarantaine de gouvernemens grands ou petits et d’une population de 11 millions d’individus, dont les deux tiers environ d’origine européenne[1]. Au nombre des postes militaires ou commerciaux s’en trouvent quelques-uns, les îles Falkland, Saint-Hélène, Labuan, Heligoland, qui sont loin de valoir ce qu’ils coûtent, et dont l’utilité est si contestable que le ministre qui en proposerait l’abandon ne rencontrerait probablement qu’une faible opposition. Quant aux dépendances telles que les établissemens de la côte occidentale d’Afrique, les Indes occidentales, Ceylan et Maurice, où la race noire est beaucoup plus nombreuse que la race blanche, si, bien administrées, elles ne coûtent presque rien, elles ont perdu tout intérêt depuis l’abandon des anciennes doctrines économiques. Comme l’a fort bien dit Adam Smith, « le maintien du monopole commercial a été le principal ou, pour mieux dire, le seul but que la Grande-Bretagne poursuivait en conservant ces colonies, » et le même économiste conseillait à ses compatriotes d’abandonner les provinces qui étaient hors d’état de se suffire à elles-mêmes en temps de paix ou de se défendre en temps de guerre. Un homme d’état plus moderne, sir George Cornewall Lewis, a reproduit la même pensée sous une forme plus précise : « Une nation ne retire aucune gloire d’une possession qui ne profite ni à elle ni aux autres. Lorsqu’un état conserve une dépendance dont il ne tire ni revenu, ni force militaire ou navale, ni avantages commerciaux, ni facilités d’émigration qui lui échapperaient, si cette dépendance était indépendante, on ne peut dire que la possession en soit glorieuse. » Sous une forme différente, c’est la même idée qui revient : ne songer qu’à ce qui est

  1. Les colonies françaises comptent une dizaine de gouvernemens avec 5 millions d’âmes, Algérie comprise ; mais il faut convenir que la Grande-Bretagne possède certains postes, Malte, Singapour, Hong-kong, infiniment supérieurs aux nôtres, et que d’ailleurs nos colonies contiennent, proportion gardée, beaucoup plus d’habitans appartenant aux races inférieures.