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Cette dernière ne vaut pas, sans contredit, les chances d’une guerre contre l’empire d’Allemagne. Située à 40 kilomètres de l’embouchure de l’Elbe, l’île d’Heligoland fut au temps des grandes guerres un repaire de contrebandiers. Aujourd’hui les 2 ou 3,000 habitans que l’on y compte vivent en hiver des épaves que la mer jette à la côte, en été de l’affluence d’étrangers qu’y attire un établissement de bains et de jeu. Cependant la population ne supporte pas aisément le joug anodin de l’Angleterre. Jusqu’en 1867, il y avait une assemblée délibérante dont moitié des membres élus par les habitans. Cette assemblée s’étant montrée rétive à l’occasion d’un nouvel impôt, le ministre des colonies fit un coup d’état ; il investit le gouverneur de pouvoirs absolus. Un garde-côte avec 16 hommes d’équipage est du reste la seule force armée que l’Angleterre entretienne sur ce coin de terre, qui lui est à peu près inutile.

Gibraltar est encore une forteresse que l’Angleterre occupe depuis cent cinquante ans, et dont l’importance a quelque peu décru depuis que la navigation à vapeur a fait tant de progrès. Le besoin d’une station intermédiaire entre Portsmouth et Malte ne se fait plus autant sentir qu’au commencement de ce siècle. Aussi les amis de l’Espagne nourrissent-ils l’espoir que la Grande-Bretagne consentira un jour à échanger Gibraltar contre Ceuta, situé de semblable manière de l’autre côté du détroit. Il n’y a pas que l’orgueil des Espagnols qui soit blessé de ce qu’une parcelle de leur territoire appartienne à l’étranger. Cette petite colonie anglaise est un nid de contrebandiers que la surveillance la plus vigilante a peine à réprimer ; mais le gouvernement britannique ne paraît nullement disposé à livrer un poste où l’ingénieur militaire, aidé par la nature, a multiplié les moyens de défense. Au surplus, cette station ne coûte rien à la métropole, les dépenses locales étant payées par l’impôt foncier, l’impôt des boissons et les droits de port perçus sur les navires de commerce. Le budget britannique ne prend à sa charge que l’entretien de la garnison, de 7,000 hommes environ, qui vit tristement sur ce rocher.

Quant à Malte, quoique la population native soit de 140,000 âmes, c’est tout à fait une place de guerre soumise au régime militaire le plus rigoureux. Cette île magnifique, où le coton croît à côté de l’oranger, où tout abonde, fruits, céréales, bestiaux, n’est pour les Anglais que le siège d’une garnison de 7 à 8,000 hommes, et le quartier-général de l’escadre de la Méditerranée. Eux qui se montrent si soucieux ailleurs de garantir à chacun les privilèges d’un citoyen libre et qui s’indignaient, il y a peu de temps encore, que les Romains fussent sacrifiés au pape, ils admettent sans hésiter, comme chose nécessaire, que les droits politiques des Maltais doivent être subordonnés à la sécurité militaire de la Grande-Bretagne.