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Exposé sur le fleuve, il est porté jusqu’au Gange, sur les bords duquel il est recueilli par Adhiratha, ami du roi et conducteur d’un char royal. L’enfant grandit en beauté et en courage ; devenu jeune homme, il est partout vainqueur. Cependant sa mère Kunti a épousé le roi Pandu et lui a donné trois fils : Yudhishtira, Bhima et Ardshuna. Les trois princes, et avec eux Karna, leur demi-frère, briguent la main de la princesse Draupadi. Il faut subir des épreuves : Karna lui seul les affronte avec succès, mais Draupadi le refuse, parce qu’il n’est, croit-elle, que le fils d’un cocher, et elle choisit Ardshuna, quoique vaincu. De là, guerre entre les fils du roi Pandu et les Kauravas, auxquels le fort et généreux Karna, qui est avec eux, procure toujours la victoire, jusqu’à ce que, par le conseil perfide de Krishna, il soit tué traîtreusement.

On trouvera dans les livres des érudits qui ont institué ces parallèles entre les légendes germaniques et orientales les preuves de détail philologique qui viennent à l’appui des traits généraux, comment, par exemple, l’identité entre le mot sanscrit yudh et le mot germanique gunt, signifiant tous deux combat, rapproche l’un de l’autre les deux noms Yudhishtira et Gunther, et comment une pareille analogie de sens prochain permettrait aussi d’assimiler les deux noms Ardshuna et Hagen. — Un semblable travail de comparaison a été tenté entre la légende du Chevalier au cygne et celle du héros indien Bhishma, ainsi que sur beaucoup de points plus particuliers. C’est aux savans spéciaux à décider dans quelles limites légitimes pourront s’étendre de telles recherches ; mais il suffit qu’ils en aient admis le principe et les premiers résultats pour que l’histoire générale ait le droit et le devoir de s’en emparer, et de se tenir attentive à cette lumière nouvelle.

En résumé, Tacite, à qui nous sommes si redevables pour les précieuses notions qu’il nous a léguées, pourrait lui-même s’instruire à l’école de la science moderne sur deux questions qui l’ont certainement embarrassé. Ce qu’il a pris, non sans une visible incertitude, pour le pâle reflet, pour l’imitation servile de la religion romaine, c’est l’odinisme. En vain a-t-on cru devoir placer dans un temps postérieur à celui de l’historien romain l’introduction de ce culte en Germanie ; nous avons vu plusieurs témoignages nous attester le sens des assimilations reproduites par Tacite. Peu importe que ces témoignages soient d’auteurs moins anciens que lui, car on ne comprendrait pas par quel singulier hasard des dieux barbares antérieurs à ceux que désignent ces témoins auraient répondu aux mêmes assimilations. L’odinisme, avec sa forte rudesse, convenait à l’état social des Germains. Ce n’était pas une religion de nature à déprimer ou à décourager les hommes. Il les poussait, pendant