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nominatifs Diovis en osque et Jovi en vieux latin dans Ennius, Zio en haut-allemand, Tiw en anglo-saxon, Tyr dans la langue norrène des Eddas. La progression du sens est visible dans certaines expressions de la vieille langue latine ou grecque qui ont survécu. Une prière des Athéniens suppliait Jupiter de pleuvoir, souvenir de la primitive époque où le mot destiné à désigner plus tard la divinité ne s’appliquait encore qu’à la voûte céleste. La persistance de la signification première n’est pas moins évidente dans l’usage qui se perpétua chez les Romains de dire sub Jove frigido, sub dio, sub diu, pour signifier « à ciel découvert. » Cicéron, dans une ligne intraduisible, confond aussi Jupiter et la voûte éthérée : Hoc sublime candens, quem invocant omnes Jovem. Singulière destinée d’une syllabe unique, empruntée à la langue commune de nos ancêtres les plus reculés, surnageant dans le temps et l’espace après leur dispersion, suivant le progrès de la pensée chez les nations indo-européennes, et désignant pour chacune d’elles en dernier lieu la divinité suprême, de telle sorte qu’aujourd’hui même et pour des siècles encore, et sans doute tant que durera la race aryenne, quand le plus humble d’entre nous, s’agenouillant, prie et invoque le nom de Dieu, il se trouve par le langage en communauté directe, malgré la différence des âges, avec nos plus antiques aïeux[1].

Nous avons pu reconnaître au commencement de ce travail des analogies plus ou moins vraisemblables entre certaines divinités germaniques et les dieux grecs ou romains auxquels Tacite avait cru pouvoir les assimiler ; il en est d’autres plus réelles qu’on découvre aujourd’hui entre ces divinités barbares et celles de la mythologie védique. C’est le développement des légendes sacrées qu’il faut interroger de préférence, si l’on veut retrouver les traces de la solidarité intellectuelle et morale qui trahit les liens de parenté entre les peuples. Les mythes, dans l’élaboration desquels intervient l’action réciproque de la pensée et du langage, vont se transformant, du naturalisme, qui enfante les symboles, aux conceptions éthiques, qui créent des dieux personnels et par conséquent doués d’attributs moraux. Les anciens Hindous ou, comme on les appelle quelquefois, les peuples du sanscrit, auxquels nous devons les hymnes des Védas, vivaient dans les hautes vallées du Pendjab et du Gange supérieur. Leur imagination, qui s’éveillait, dut être frappée des phénomènes qu’un ciel ardent et un climat extrême déployaient à leurs yeux. Après que l’hiver avait cruellement desséché la plaine, le changement de saison s’annonçait par des

  1. Il en est de même au reste lorsque nous employons, dans la vie de chaque jour, les chiffres dits arabes, s’il est vrai que la forme de chacun d’eux reproduise la première lettre par où commence leur antique dénomination sanscrite. Voyez Lassen et Weber.