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Semnons avait donné naissance aux tribus qui se réunissaient à l’ombre de ses grands arbres. Ces allégations sous sa plume nous enseignent seulement, à vrai dire, que l’immigration des Germains en Europe était d’une date déjà trop ancienne pour qu’au Ier siècle de l’ère chrétienne il en retrouvât le souvenir.

Sur l’une et l’autre question, la science aujourd’hui va plus loin. Non-seulement elle peut reconnaître dans ses traits originaux le culte des Germains, et cesser de le confondre avec les cultes classiques, mais elle retrouve encore les liens de l’odinisme avec les plus anciennes époques religieuses des Indo-Européens, ce qui équivaut à démontrer que les Germains sont eux-mêmes un rameau détaché de la souche aryenne.

C’est à la philologie comparée qu’appartient ici le premier rôle. Rien qu’à mettre en regard tout d’abord les expressions primordiales de tout langage humain, elle signale des similitudes et des différences qui lui révèlent la distinction des races. Poursuivant son enquête, elle note chez les peuples indo-européens, par exemple, les mots qui désignent les diverses espèces de bétail et les mots qui set rapportent au développement ultérieur de l’agriculture, et il lui arrive de remarquer que tel groupe de ces peuples, après avoir eu, pour ce qui se rapporte au bétail, le même langage que les autres groupes, s’est façonné au sujet de l’agriculture des expressions particulières. Elle en conclut que les diverses tribus indo-européennes ont vécu réunies pendant une première période, celle de la vie agricole ou nomade, mais que ce groupe particulier s’est séparé du tronc commun avant d’accomplir son passage vers la vie agricole. C’est sur de telles observations que M. Pictet a édifié son ingénieuse histoire des différentes époques de la vie des Aryâs, et qu’on a cru pouvoir appliquer aux Germains précisément le cas que nous venons de supposer.

Pour la philologie moderne, les mots, et les lettres elles-mêmes qui constituent les mots, ont leur histoire. L’un des deux élémens des mots, la terminaison, varie suivant les nuances très diverses, de temps et de mode, de nombre et de personne, que le langage veut exprimer ; l’autre, le radical, se modifie dans les verbes soit par un redoublement, une réduplication, et ensuite par une contraction de ce redoublement, soit par un simple changement de voyelle. De plus, en passant d’une langue à une autre langue, d’un peuple à un autre peuple, les mots se transforment, mais suivant des règles que déterminent surtout les intimes affinités des lettres entre elles. Nul de ces changemens n’est livré au hasard ; l’esprit humain et la parole humaine, dans ces évolutions secrètes, ne connaissent pas de caprices. C’est la gloire de Grimm et de Bopp