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divinité : des représentations matérielles ou un culte étroit et captif leur paraîtraient l’amoindrir, et, dans son magnifique, dans son intraduisible langage, il nous dit qu’en présence de l’obscurité vénérable de leurs antiques forêts, sans chercher à percer le mystère de ces ténèbres, ils se contentent de deviner les dieux et d’adorer ; lucos ac nemora consecrant, deorumque nomimbus qppellant secretum illudn quod sola reverentia vident. Qu’en faut-il croire et comment doit-on l’entendre ? Les barbares de Germanie vont-ils se transformer en sectateurs mystiques d’une religion abstraite, exempte de superstition ? Étaient-ils donc capables d’écouter les conseils d’un Sénèque, enseignant aux stoïciens de Rome, lui aussi, la divinité invisible et présente dans l’obscurité des grands bois épais, ou bien de comprendre ce culte immatériel que Tacite lui-même signale avec étonnement chez les Juifs monothéistes ? Ce que nous dit l’historien du respect des barbares envers les femmes, nous devons certes l’accepter, puisque beaucoup de témoignages, depuis Plutarque à propos des Cimbres, jusqu’à saint Boniface dans sa dix-neuvième lettre, nous signalent ce même trait des mœurs germaniques. Un tel respect, mêlé d’ailleurs de superstition, convenait à des peuples encore engagés dans un état de civilisation primitive. On n’en pourrait pas dire autant d’un culte qui redouterait de n’être ni assez austère ni assez dégagé des formes matérielles. La vérité est peut-être que la religion germanique, non sortie encore de la période d’adoration des forces naturelles, ne faisait que préluder à celle où ses divinités comme ses mythes s’inspireraient d’un caractère plus personnel et par conséquent plus visiblement moral. Rappelons-nous que César attribue aux Germains le culte du soleil, de la lune et de Vulcain, c’est-à-dire l’adoration des astres et du feu. Rappelons-nous aussi que les premiers siècles du moyen âge allemand ont conservé les nombreuses traces d’un très ancien culte des arbres en Germanie, témoin les traditions sur le chêne de Geismar et sur l’Irminsul, et ces statues de Roland, fréquentes aujourd’hui, surtout dans l’Allemagne du nord, souvenirs probables des arbres que le glaive et le bouclier suspendus à leurs troncs et la terre rougie à leur pied par le sang, Rothland, Ruland, avaient marqués jadis comme lieux de justice. Tacite, vivement frappé de la majesté des forêts germaniques et du mystère des cérémonies que les barbares célébraient, aurait interprété celles-ci à sa manière, non sans ajouter quelque chose par sa propre imagination à l’essor réel d’un sentiment d’adoration intime et grave inné chez ces peuples. Lui-même nous aide à une vue. probablement plus exacte lorsque, dans certains chapitres de sa Germanie, il nous montre chez les barbares l’abus de la sorcellerie, et les sacrifices humains.