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trace d’un culte fort ancien en l’honneur de quelque divinité d’où devait dépendre soit l’heureux succès de la navigation, soit la fécondité de la terre, soit l’heureux succès des mariages. Il compare ces épisodes à ce que raconte Tacite lui-même, dans la Germanie, d’une déesse barbare adorée de certaines tribus du nord. Les Germains croient, dit-il, qu’elle intervient dans les affaires des hommes, et qu’elle les visite à des époques solennelles. « Dans une île de l’Océan est un bois consacré, et, dans ce bois, un char couvert, destiné à la déesse. Le prêtre seul a le droit d’y toucher : il connaît le moment où elle est présente dans le sanctuaire ; elle part traînée par des génisses, il la suit avec une vénération profonde. Ce sont alors des jours d’allégresse ; c’est une fête pour tous les lieux qu’elle daigne honorer de sa présence. Les guerres sont suspendues, toute arme est soigneusement écartée. C’est le seul temps pendant lequel ces barbares acceptent le repos et la paix, et cela dure jusqu’à ce que, la déesse étant rassasiée du commerce des mortels, le même prêtre la rende à son temple. Alors le char et le voile qui le couvre et, si on les en croit, la divinité elle-même sont baignés dans un lac solitaire. Des esclaves s’acquittent de cet office, et aussitôt après ils sont précipités dans le lac, qui les engloutit. De là une religieuse terreur et une sainte ignorance sur cet objet mystérieux qu’on ne peut apercevoir sans périr. » Déjà, bien avant Tacite, Lucrèce avait décrit avec quelques détails analogues les promenades de la déesse Terre, mère des dieux et des hommes, sur son char traîné par des lions. Le calendrier romain désignait le sixième jour des calendes d’avril par ces mots : lavatio matris deûm ; Ovide en effet, dans le passage de ses Fastes où il décrit un des prodiges accomplis par Cybèle, représente le prêtre qui, vêtu d’une robe de pourpre, lave dans les eaux de l’Almon et la déesse et les objets sacrés.

Que penser de ces divers rapprochemens, dont la série pourrait aisément s’accroître ? En conclura-t-on que le culte de l’égyptienne Isis avait pénétré non-seulement à Rome, mais encore au fond même de la Germanie, que c’est elle qu’on peut reconnaître à ces divers symboles du vaisseau, de la charrue, du char traîné par des génisses, et qu’elle figurait ainsi dans le monde barbare aussi bien que dans le monde classique comme protectrice de la navigation, du commerce, de l’agriculture, du mariage, de la concorde générale et de la paix ? Il est vrai qu’un syncrétisme dont on trouverait déjà des traces dans Hérodote avait accumulé sur l’Isis égyptienne les attributs de beaucoup d’autres divinités ; Apulée lui fait dire : « Je suis la Nature, mère de toutes choses, maîtresse des élémens, principe originel des siècles, divinité suprême, reine des Mânes… Puissance unique adorée sous autant d’aspects, de formes, de cultes et de noms qu’il y a de peuples sur la terre, les Phrygiens