Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 97.djvu/106

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

cuve remplie de cervoise[1], et s’apprêtant à sacrifier à leur dieu Odin, « que d’autres, dit l’hagiographe, appellent Mercure. » Paul Diacre, historien des Lombards au VIIIe siècle, dit formellement qu’Odin est le dieu nommé Mercure par les Romains, et que son culte est commun à tous les peuples germaniques. Enfin Geoffroy de Monmouth, à la fin du XIIe siècle, et Matthieu de Westminster, au commencement du XIVe, racontant l’arrivée des Saxons en Grande-Bretagne, disent que leur chef Hengist répondit ainsi aux questions du roi Vortigern : « Après être descendus sur la mer, nous avons envahi ton royaume sous la conduite de Mercure, car nous avons, nous aussi, nos dieux protecteurs, mais nous révérons surtout celui-ci, que dans notre langue nous appelons Odin. » Il y a de cette assimilation, une autre sorte de preuve dans la comparaison des noms assignés aux jours de la semaine. L’usage de la semaine avec sept jours désignés par les noms des planètes s’était répandu de l’Orient dans tout le reste de l’empire romain, probablement dès les dernières années de la république ; à la fin du IIe siècle, il était devenu général, Dion Cassius nous l’atteste. Les peuples germains, qui déjà sans doute avaient trouvé par eux-mêmes la division du mois suivant les phases de la lune, adoptèrent au IVe ou au Ve siècle, comme le pense Grimm, les dénominations des jours selon la coutume romaine. Seulement les noms des grandes divinités germaniques prirent la place des dieux classiques, en se conformant sans doute aux identifications déjà faites par les Romains eux-mêmes, telles que nous les voyons dans Tacite. C’est ainsi que le quatrième jour, marqué chez les Romains du nom de Mercure, porta chez les barbares le nom d’Odin. La perpétuité de cet usage jusque dans notre temps est digne de remarque. Tandis qu’aujourd’hui encore, obéissant à la tradition romaine, nous employons, nous aussi, le mot mercredi, les Anglais disent wednesday, les Suédois et Danois onsdag, pour odinsdag, etc. Si les Allemands disent simplement mittwoch, le milieu de la semaine, c’est à coup sûr parce que le clergé catholique, qui s’efforçait de bannir les noms des dieux païens, a remporté ici une victoire partielle.

Quelles analogies peuvent avoir conseillé une telle assimilation ? Il n’est pas très facile de le deviner. Si nous consultons l’Edda, où se sont conservées les plus anciennes légendes religieuses des peuples germaniques, Odio, comme Mercure, a compté au nombre de ses attributs la conduite des âmes à travers les voies de la mort : ce sont des divinités psychopompes. Tous deux ont inventé les caractères d’écriture ; tous deux favorisent les marchands et portent la

  1. Pline le naturaliste connaît déjà dans la Gaule (ce qui veut dire souvent chez lui la Germanie) cette boisson faite avec les céréales, c’est-à-dire sans nul doute la bière.