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comprit tout au moins qu’il y avait là, chez l’ennemi, une force considérable, non moins puissante que les institutions politiques à donner la victoire. Ses lumières sur de tels problèmes sont toutefois nécessairement bornées ; la science antique était, pour ainsi dire, trop près de ces difficultés pour les embrasser du regard, les mesurer et les pénétrer ; il lui manquait la variété de connaissances et l’expérience multiple que nous avons acquises. Ce que nous dit Tacite sur la religion des Germains n’en est pas moins précieux pour nous, parce que sur cette même religion, dont les origines et les plus anciens dogmes nous sont inconnus, nous avons cependant des informations ultérieures. Ces informations et les commentaires de l’historien romain se prêtent un mutuel appui, et de tels rapprochemens font jaillir quelquefois une lumière inattendue. En groupant avec soin mille antiques souvenirs qui survivent encore aujourd’hui dans la langue et dans les traditions populaires de l’Allemagne, en interrogeant les chroniques du moyen âge, particulièrement les sagas scandinaves, en compulsant les lois rédigées après l’invasion pour les peuples d’origine germanique établis dans l’empire, — en relisant surtout les vieilles poésies comprises dans le double recueil des Eddas, nous obtenons sur l’ancienne religion des Germains une série de notions incohérentes sans doute, de temps et de lieux trop divers, mais qui remontent, au moins par des inductions légitimes, jusqu’à des jours assez voisins de celui de Tacite, et qu’il serait fort intéressant de pouvoir faire concorder avec les assertions de l’historien.

L’interprétation du texte de Tacite, souvent fort difficile, est préparée par de nombreux travaux que nous devons en partie aux Allemands. Jacques Grimm et après lui ses nombreux élèves, avec le secours d’une érudition très étendue et très variée, d’une philologie subtile, ont recueilli chez tous les peuples de la race indo-européenne mille indices épars, fragmens brisés du vaste ensemble qu’avait formé la mythologie germanique. Qu’ils n’ouvrent pas des livres tels que la Deutsche Mythologie ou les Deutsche Rechtsallerthümer, ceux qui veulent mesurer prudemment l’essor de leur imagination dans le champ des conjectures et le temps même qu’ils entendent donner à de telles excursions. Avec ses souvenirs sans fin, du nord au sud, de l’occident à l’orient, à travers toutes les civilisations et tous les idiomes, Grimm vous entraîne. Cette lecture, hérissée de textes venus des quatre coins de l’horizon et de tous les siècles, paraît aride d’abord, et produit ensuite une sorte d’enivrement : on s’y oublie pendant des heures. Retire-t-on de là finalement, en un sujet si complexe, une instruction toujours bien précise ? Nous n’oserions en vérité l’affirmer. On en sort du moins avec