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reconnaître, et qui semble ouvrir aux observateurs un vaste champ de recherches dans des régions encore peu explorées de la physique biologique.

Tout reste à faire dans ce vaste sujet des colorations animales que nous venons d’effleurer ; l’étude chimique et physique des pigmens, les conditions qui en règlent l’apparition, l’intensité, les variations sous certaines influences, l’avortement chez l’albinos, le développement exagéré chez les animaux atteints de mélanisme, tout cela a été fort peu étudié jusqu’à ce jour, et en France moins qu’ailleurs. À la vérité, deux hommes de génie, au commencement du siècle, avaient donné en France à l’anatomie une double impulsion dont s’est ressenti le monde entier ; l’un s’appelait Cuvier, l’autre était simple professeur particulier d’anatomie à l’Hospice d’Humanité, c’était le nom de l’Hôtel-Dieu en l’an X, quand on releva sur les marches du perron Bichat mortellement atteint. Quoiqu’il ne fût point professeur de l’état, les consuls firent placer dans l’amphithéâtre témoin de ses leçons une inscription à son honneur qui se voit encore. Après quelques années, le souvenir de Bichat se perdait dans les rayons de la gloire officielle de Cuvier au comble des honneurs, grand-maître de l’Université, familier des Tuileries ; et cependant Bichat, lui aussi, avait fondé une science, l’anatomie générale, sortie tout entière de son génie, comme l’anatomie comparée de celui de Cuvier. La dernière n’étudie que les formes intérieures des animaux, la disposition des organes ; l’autre, serrant de plus près le problème, ne s’inquiète plus du nombre ou de l’agencement des parties du corps, elle cherche à en pénétrer la structure intime pour y surprendre le secret même de la vie. Nul doute que, si Bichat, comme Cuvier, avait eu le temps de former autour de lui une génération de disciples, beaucoup de points, cette intéressante question des pigments entre autres, auraient été étudiés en France avec l’attention qu’ils méritent ; du moins nous n’aurions pas été dépassés dans cet ordre d’études. Pendant que l’anatomie générale était délaissée par Cuvier, presque répudiée par son entourage, l’Allemagne, avec un sentiment très juste du lien qui rattache cette science à la physiologie, s’y jetait résolument avec l’aide du microscope. L’anatomie comparée, base utile de la zoologie, continue de tenir une place honorable dans les universités d’outre-Rhin ; mais l’anatomie générale, pierre angulaire de la science de la vie, est partout enseignée sous différens noms : elle a ses revues spéciales, ses livres classiques, tandis que la patrie de Bichat n’a pas même une chaire pour l’enseignement de la science qu’il a fondée !


George Pouchet.