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si, en se repliant de la sorte, ils en tirent occasion de créer et de développer, pendant ce qu’on leur laisse de répit, de nouvelles ressources intérieures. C’est ce qu’a fait le roi Charles XV. Il a essayé de remplir la double tâche de ne pas interrompre le progrès commencé et de parer à de nouvelles difficultés et à de nouveaux périls. Son gouvernement venait d’élaborer un vaste projet de réforme de l’armée suédo-norvégienne et de défense nationale. Les motifs de cette préoccupation impérieuse n’avaient pas été dissimulés : le discours du trône à l’ouverture de la diète de 1871, au mois de janvier, déclarait, après avoir constaté la neutralité parfaite des royaumes-unis dans la lutte entre l’Allemagne et la France, « qu’il ne manquait malheureusement pas de raisons de craindre que la guerre ne pût prendre un essor plus vaste dans un avenir prochain. » Le roi ajoutait ces graves paroles : « Les traités sur lesquels les états différens ont fondé leurs rapports mutuels ne sont plus entourés du même respect que par le passé, et la situation politique de l’Europe ne paraît plus assise sur des bases suffisamment solides. » Le plan de réorganisation de la défense nationale médité par Charles XV devait être concerté par les deux royaumes-unis, et il supposait une entente commune. Aussi le gouvernement avait-il proposé la révision de l’acte d’union entre la Suède et la Norvège, ainsi que la création d’une chambre composée de représentans des deux pays. On sait de quels jaloux sentimens d’indépendance les Norvégiens sont animés ; ils ont repoussé toutes ces mesures, sans doute parce qu’il leur reste encore quelque chose de la défiance que leur inspirait la Suède d’avant la réforme de 66. Ce serait à tort ; la Suède a maintenant rejeté, nous l’avons vu, ce qu’elle avait conservé d’institutions surannées ; son contact et l’intime union avec elle ne peuvent plus offrir de dangers à la liberté norvégienne. Les storthings de Christiania, devenus annuels depuis 1871, vont concorder avec les diètes de Stockholm ; les interminables retards d’autrefois, causés par la différence des mécanismes parlementaires, vont disparaître ; le chemin de fer direct ouvert entre les deux capitales va devenir à la fois le meilleur instrument et le symbole d’un nouveau rapprochement des deux peuples. De la sorte, le règne de Charles XV, pour avoir vu encore un reflet de ces anciens dissentimens, n’en aura pas moins été l’époque féconde à partir de laquelle on peut espérer qu’ils auront commencé de s’éteindre.

A. Geffroy.