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rôle de neutralité passive n’était accepté que par une prudente résignation, qui faillit plus d’une fois se démentir. En 1862, une fraction des libéraux causa quelques difficultés au cabinet en demandant une intervention favorable à l’insurrection polonaise. Une expédition navale, armée en Angleterre, venait achever son équipement en Scanie, et provoquait des manifestations qui, tout en étant peu agréables au gouvernement russe, n’offraient rien que de compromettant pour la cour de Stockholm. Heureusement la Russie était représentée alors en Suède par un homme de conciliation, M. Daschkof ; ses efforts, unis à ceux de M. de Manderström, ministre des affaires étrangères, réussirent à calmer le mécontentement du cabinet de Pétersbourg. — L’année suivante, en 1863, survint une nouvelle crise du différend dano-allemand. Charles XV eût été fort désireux d’y jouer son rôle par une intervention active, mais deux crises financières et de mauvaises récoltes venaient d’ébranler le bien-être des populations suédoises ; de plus l’Angleterre et la France s’obstinaient à rester neutres. La Suède ne pouvait rien sans la coopération des grandes puissances, et il n’était rien moins qu’assuré que son initiative déterminerait leur concours ; elle n’eût donc fait probablement que se compromettre.

Chacun de nous sait quelles étaient pour la France les sympathies suédoises, et celles de Charles XV en particulier : il n’en faisait pas mystère. Il avait aimé notre pays dans la prospérité ; il aurait voulu pouvoir le secourir dans le malheur. Il s’en exprima dans une lettre à un de nos officiers, prisonnier en Allemagne ; la lettre tomba entre les mains des Prussiens, auxquels elle n’apprit rien de nouveau. La nation suédoise, elle aussi, pleurait notre défaite ; on aurait à en citer les témoignages les plus touchans. Ce n’étaient pas seulement les sentimens particuliers et comme personnels qui intervenaient ici, c’était encore le sens politique : les petits états perdaient leur défense naturelle. De terribles fautes avaient été commises, et la première de toutes le jour où Angleterre et France avaient abandonné le Danemark. Qui pourrait s’étonner après cela qu’en présence du désarroi général, de l’incertitude des alliances, du mépris des traités, du renversement de tout équilibre, les pays de troisième ordre ne jettent plus aucun regard au-delà de leurs frontières, même pour des intérêts qui sembleraient devoir les toucher par quelques côtés ? Ils ont à organiser leur défense nationale, à condenser toutes leurs forces intérieures, non pas pour faire valoir autour d’eux les desseins politiques qui leur sembleraient pour eux-mêmes les plus utiles, mais pour tâcher de se sauvegarder ou de faire au moins bonne résistance au moment du danger, heureux