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piéges ne soient pas déjà tendus pour exploiter ces révoltes dans le sens des théories antisociales et anarchiques ? Les ouvriers, en Suède, sont peu nombreux et dispersés : c’est là ce qui les préservera sans doute d’égaremens dont ils seraient, comme il arrive toujours, les premières victimes. Ils ont commencé de s’organiser en groupes moyens ; ils ont formé des associations de secours mutuels, mais aussi des sociétés pour l’achat des matières premières, pour la fabrication et pour la vente, avec partage proportionnel des profits. L’enquête anglaise de 1869 étudie avec soin ce développement, qui offre tant d’intérêt. À côté de cela, il y a malheureusement des faits de nature à inquiéter pour l’avenir ; telle est assurément la publication d’un livre composé par un ouvrier suédois nommé Nils Nilsson, et où sont exposées toutes les théories extrêmes de l’Internationale. Rien que le titre de ce livre est significatif : Liquidation définitive de la loi et de la société suédoises. Les agens invoqués sont l’athéisme, l’abolition du mariage et de la propriété, etc. Il n’y a pas de société qui puisse résister à de pareils fermens, si elle les laisse une fois s’introduire, et la meilleure manière de leur interdire l’entrée, c’est d’armer le pays de sagesse et de bon sens en allant au-devant des utiles institutions et des salutaires réformes. La Suède se garantira du fléau démagogique en achevant son édifice constitutionnel et parlementaire, puisque cette forme de gouvernement est encore celle qui paraît s’être le mieux adaptée à notre temps et aux mœurs de l’Europe moderne. Il lui faut, pour accomplir cet achèvement, ajouter à la réforme fondamentale de 1866 les changemens qui en sont comme les naturels corollaires, une entière responsabilité ministérielle, et de plus la subordination nouvelle de certaines administrations ou de certains conseils, débris d’un régime antérieur, qui étaient habitués à une indépendance d’action à peine conciliable avec l’autorité générale et supérieure de la représentation nationale. Ce n’est là qu’un travail complémentaire et facile, dont les diètes, avec le concours du gouvernement, auront promptement raison. Le progrès politique est le vrai gage du progrès social et économique, et il nous reste à montrer que, pour s’être assuré hardiment la possession du premier, la Suède, pendant le règne de Charles XV, a déjà commencé d’obtenir l’autre comme par surcroît.

II.

Deux réformes sociales du plus haut intérêt ont continué de se développer sous le règne de Charles XV, et ne s’arrêteront pas avant leur entier achèvement. On sait que naguère encore la Suède